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Revue d'Alsace

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REVUE D'ALSACE.

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REVUE D'ALSACE.

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COLMAR, Imprimerie et UCbogrephie de Mad. V Dicdr.

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REVUE D'ALSACE.

CIHQDItlE AHlItE.

GOLMAR,

AD BDREAD, RUE DES MARCHANDS, N* 8.

4854.

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DES

POSSESSIONS FRANÇAISES

ENAFRIOIE."

Kurzer md grûndlicher Beschrieb ûber die Kolonie in Afrika, zum Gebrauch der Auswanderer und Auswanderungslustigen. O

TABLEAU

BE LA SITUATION DES ÉTABLISSEMENTS FRANÇAIS DANS L' ALGÉRIE , Publié par le Miniftn de la guerre.

Depais vingt-deux ans tout-à-l'heure que le gouvernemenl de la Restauration a commencé la conquête de l'Afrique par le glorieux fait d'armes de la prise d'Alger » cette possession , si ayantageusement située sous le point de vue des intérêts de la France dans la Méditer- ranée y n'a guère été considérée que comme un champ de bataille nos armées trouvaient moyen de s'exercer au rude métier de la guerre» nos oflSciers et nos généraux » de signaler leur bravoure et leur habi- leté. Aux yeux même de bien des hommes politiques , ce n'était

(*) Ce travail était terminé dès le mois de juillet , et devait paraître dans le nu- méro d'août ; des motifs d'urgence nons ont empêché de le publier immédiate- ment. L'auteur, en le revoyant, l'a complété en y ajoutant les renseignements les plus importants fournis depuis lors par le gouvernement.

(**) Se trouve à l'imprimerie de M»« V'« Decker, à Colmar. Prix 1 fr. 30 c.

» Amée. i

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qu'une arène achetée et entretenue à grands frais , llmpérissable esprit militaire de la France pouvait se déployer librement sans danger pour la paix de l'Europe , le désir de s'illustrer » l'ambition impa- tiente portaient en foule ces hommes ardents dont l'activité « l'humeur inquiète pouvaient devenir un embarras à l'intérieur. Les glorieux bulletins qui en arrivaient de temps en temps chatouillaient agréable- ment notre passion de gloire , et augmentaient au-dehors le respect de nos armes.

Hais pour des esprits plus froids » qui désiradent un prix plus réel et plus solide à nos sacrifices, l'Afrique avait de plus hautes destinées : C'était une terre magnifique que nos soldats allaient arracher à la piraterie , et rouvrir au monde civilisé» au christianisme ; c'était un théâtre nouveau pour cette activité européenne trop à l'étroit dans nos régions populeuses.

D'ailleurs en même temps que nos troupes consolidaient « étendaient la conquête , elles couvraient le pays de travaux destinés à hâter la paix , à rendre la possession tranquille et sûre ; elles frayaient les voies à la colonisation. En bien moins de temps » elles ont fait plus et mieux que les glorieuses légions romaines. Leur œuvre semble accomplie ; c'est à la nation » à l'esprit public bien éclairé , aux eÇbrts individuels bien dirigés » qu'il appartient de l'achever, et de tirer le fruit du courage et de la patience de nos soldats.

Cette conquête par la charrue et la truelle réussira-t-elle pareille- ment? Nous en sommes convaincu » si l'opinion publique se porte sérieusement à la chose» si l'étude approfondie des moyens de succès, la connaissance des immenses avantages que l'avenir tient en réserve, éveillent une volonté énergique et persévérante, et surtout s! l'on sait se garder des illusions. Trop espérer d'abord , puis se décourager trop vite , c'est le double écneil à éviter. Qu'on se dise bien qu'il faudra plus de temps, plus de constance qu'il n'en a fallu pour la conquête militaire ; que l'cBUvre qu'on entreprend est lente , comme toutes celles qui procèdent par voie de persuasion et d'efforts individuels.

En se rappelant quelle a été , au dix-septième et au dix-huitième siècle , l'étendue de nos possessions extérieures en Amérique et dans les Indes, quelles chances de prospérité elles oflflraient , et combien elles ont été misérablement abandonnées , une foule de personnes sont tentées de refuser au caractère français les qualités par lesquelles se fondent les grands et durables établissements. Et cette défiance

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que notre passé leur inspire, cette espèce d'axiome qu'on nous donne comme le fruit de l'expérience , que nous ne savons point coloniser , parce que nous sommes trop inconstants » est peut-être le plus grand obstacle au succès. C'est la pire condition pour commencer ce qui , au début , coûte mille efforts, mille sacrifices, et ne présente d'avan- tages que dans l'avenir. Qu'on veuille bien cependant examiner , avant de passer condamnation , si cette fatale conclusion est fondée , si elle se déduit légitimement de notre histoire coloniale. Pour nous , nous en doutons fort : sans admettre aucunement la perfection de notre caractère national , nous sommes convaincu que ce sont les circon- stances bien plus que l'absence de certaines qualités , qui nous ont feit échouer dans la plupart de nos colonies , et nous n'en voulons pour preuve que le degré de prospérité dont elles jouissaient au mo- ment où elles nous furent ravies, les ineffaçables souvenirs de sym- pathie que la mère-patrie y a partout laissés.

Quand on voit avec quel esprit de suite , quelle ténacité la France a accompli sous d'autres rapports ses destinées , l'extension progres- sive de son territoire vers ses frontières naturelles , le mélange , l'as- similation des races , la cohésion puissante entre toutes ses parties , l'unité de langue , de législation , de mœurs , merveilles historiques que notre pays possède seul , ou qui du moins ne se trouvent à ce degré dans nul autre , l'on est , ce semble , en droit de rabattre un peu de ce reproche de légèreté , d'inconséquence qu'on lui adresse si souvent.

Du reste le motif du jugement que l'on porte ainsi sur notre inha- bileté en matière de colonisation , est moins pris dans les débuts du caractère que dans une comparaison qui nous est en effet défavorable. Pendant que nous avons successivement perdu nos plus belles posses- sions extérieures et avec elles les travaux exécutés , les sacrifices longtemps soutenus , l'Angleterre a constamment étendu les siennes , et presque toujours à nos dépens , a constamment accru leur pros- périté. C'est un fait qui ne se peut nier , et l'avantage des Anglais n'est malheureusement que trop évident. Hais est-ce uniquement à des qualités supérieures qu'ils en sont redevables? La source unique d'où natt et s'alimente toute colonisation, c'est l'émigration. Le goût de l'émigration étant toujours produit et entretenu chez un peuple par les conditions de son existence au-dedans > c'est de cette situation iotérienre qu'il faut se rendre compte pour s'expliquer son

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état colonial. Or FAngleterre p]as qu'aacun pays du monde réunit en bien et en mal toutes les conditions propres à pousser ses populations au-dehors. D'abord la mer, le seul véhicule de Témigration en grand, le milieu inévitable qu'il faut traverser , die en a la pratique journa- lière , elle en a l'empire. D'un autre côté l'organisation semi-féodale de la propriété , le principe de l'indivisibilité du patrimoine , principe qui réduit le nombre des propriétaires du sol à 1 pour 100 du chiffre de la population , tandis que la proportion est de plus de 42 pour 100 en France , doivent porter nécessairement une foule de familles à chercher au-dehors le sol et la propriété que les lois ne leur accordent pas chez elles. Vient ensuite l'Irlande qui répand dans le monde entier sa lamentable population jusqu'au point que de 8,175,000 âmes en 4841 , elle est descendue à 7,000,000 en 4884.

Hais ces causes internes seraient encore de peu d'effet sans l'inap- préciable avantage que les Anglais trouvent dans leur seule position géographique. Otez-leur en effet cette condition bien heureuse d'insu- laires qui les met à l'abri de toute inquiétude sur leurs frontières , qui les rend indifférents ou à peu près à tout ce qui s'agite sur le continent , moins les questions de commerce , qui , même en cas de guerre , leur laisse l'usage de toutes leurs forces , de tous leurs tré- sors pour la mer et la défense de leurs établissements ; placez-les en contact immédiat avec quelque grande puissance continentale et vous verrez si le bon sens britannique produira des effets bien différents de ceux de la prétendue légèreté française.

Quoi d'étonnant que notre pays qui , depuis François i*% a eu la terrible destinée d'avoir à combattre, deux ou trois fois par siècle, contre l'Europe réunie ; pour qui toutes les grandes questions d'in- fluence , de force , d'existence même se sont toujours vidées sur le couinent , avec les plus graves périls ; quoi d'étonnant que notre pays ait porté de ce côté tout son cœur et toute son énergie , et que sa puissance ait faibli au-delà des mers. A partir de la seconde moitié du règne de Louis xiv , toutes nos luttes continentales ont été accompa- gnées de guerres maritimes contre l'Angleterre , et pendant que notre patrie défendait sa nationalité sur les Alpes , les Pyrénées , le Rhin ou la Somme , l'Anglais ruinait ou enlevait nos colonies.

A cela il n'y a qu'une seule et unique cause , la position géogra- phique ; c'est à la géographie de la France qu'il faudrait donc s*en prendre.

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Mais f grice à Dieu » ces désavantages de position cessent ou du moins sont beaucoup atténués pour nos possessions d'Afrique. nous courons peu le risque de voir nos sacrifices perdus par suite d'une guerre sur le continent, ou nos travaux profiter à une puissance rivale. L'Afrique c'est presque la France : à deux cents lieues de nos cdtes méridionales , à un peu plus de cent de la Corse , elle n'est pas pins difficile à garder que cette dernière. Grâce à la marine à vapeur, il n'est au pouvoir d'aucune puissance d'interrompre d'une manière suivie nos communications avec elle, en même temps que le peu de ports militaires que présente son littoral , les grandes difficultés d'un débarquement à opérer en présence de notre armée, y rendent près- qu'impossible la descente de troupes ennemies. L'Algérie ne nous sera certainement point enlevée comme l'Egypte. Ce n'est que du de- dans que pourrait naître le péril , et les coups décisifi» ont été portés : une fois que l'élément européen y sera devenu plus nombreux , la position sera absolument inattaquable. C'est encore un motif puis- sant de s'appliquer activement à la colonisation.

Parmi les causes qui ont jusqu'aujourd'hui entravé l'émigration sur ce "point , la plus générale , il nous semble, ça été, dans les premiers temps , l'instabilité de la domination française, les fréquentes vicissi- tudes , le retour incessant d'hostilités terribles , sans quartier ; puis , après la conquête afi'ermie , l'énergique opposition des deux civilisa- tions , des deux religions , opposition qui ne permet ni alliances , ni fiision entre les races : la perspective de se voir perdu au milieu de peuples auxquels rien ne vous lie , et dont tout au contraire vous sépare , mœurs , culte , langage. C'est , nous le croyons , le motif le plus puissant d'éloignement , motif en quelque sorte instinctif , mais qui n'en est que plus difficile à détruire. Le climat, le régime militaire qu'on a allégués souvent , ne sont que des obstacles secondaires. Le régime militaire , qui d'ailleurs est circonscrit aujourd'hui , n'a rien d'antipathique pour les populations agricoles , quand les armées, loiïi de vivre sur le paysan , lui oflrent au contraire des consommateurs qui ne prennent que ce qu'ils paient. Qilant au climat , la comparaison des tables de mortalité nous forcera de reconnaître qu'il est plus sain que celui de bien des régions de la France. Et puis nous voyons des émigrants en grand nombre ne pas hésiter à s'aller fixer sur les bords insalubres du Mississipi, et sur ces rivages du golfe du Mexique que visitent si fréquemment le vomito et la fièvre jaune.

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C'est en effet rAmérique , et en Amériqae les Etats-Unis qui ont le privilège d'attirer la majenre partie de l'émigration du continent ; c'est de que viennent chaque jour en Europe ces lettres qui pro- voquent de nouveaux départs en y dépeignant la vie conune facile , le travail et le gain comme assurés , quoique , conmie ailleurs » il y ait eu bien des mécomptes. Dès la découverte du Nouveau-Mcmde, la su- perstition populaire y a voulu trouver un Eldorado , et cette illusion n'a £ait que se ranimer aux descriptions merveilleuses et bien exploi- tées des richesses de la Californie.

C'est ce courant qui emporte une grande partie des populations rurales de l'Europe qu'il serait nécessaire de rompre afin d'en détour- ner quelque chose sur l'Afrique. Dans notre région rhénane dont le débouché naturel est dans l'Atlantique , pour atteindre ce résultat , il faudra plus qu'ailleurs des efforts persévérants et bien dirigés. Mais aussi plus qu'ailleurs ces efforts, s'ils réussissent, peuvent être féconds et décisifs en fournissant à l'Afrique une race d'agriculteurs vigoureux et éclairés , éminemment propres au but qu'on se propose , parce qu'ils sont laborieux , économes et qu'ils s'attachent au sol qu'ils cul- tivent. C'est donc la peine de les tenter sérieusement , d'une manière suivie. Ce qui nous y doit soutenir d'ailleurs , c'est cette considération qu'un premier succès obtenu en amènera rapidement de plus grands; qu'en fait d'émigrants l'un appelle l'autre , et que l'impulsion une fois donnée avec quelque vigueur , le plus difficile sera fait.

Pour y arriver^ il faut avant tout faire connaître le pays sous tous les points de vue qui intéressent l'émigrant , ne lui rien laisser ignorer sur les difficultés aussi bien que suk* les avantages de l'établissement colonial: car il faut tout attendre de l'action individuelle , de la déter- mination libre de l'émigrant. L'Etat ne peut que l'éclairer , le diriger afin de lui éviter des tâtonnements souvent ruineux , et de laisser le moins possible au hasard ; toutes les fois qu'il a voulu faire plus, qu'il s'est chargé des frais et de la responsabilité de l'entreprise , il n'a obtenu que peu ou point de résultat , et en a été pour ses sacrifices : voilà ce qu'a prouvé la tentative faite après 48. Rien ne peut suppléer la volonté , les efforts personnels.

C'est dans le but d'éveiller cette volonté , en éclairant l'opinion , que le ministre de la guerre a publié périodiquement , depuis 1846 , l'ouvrage le plus complet sur l'état de nos possessions africaines , le tableau de la situation des établissements français en Afrique. Il n'est

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pas une question de nature à intéresser la ccdonisation qui n'y trouve sa réponse précise , exacte ; institutions civiles et militaires , travaux exécutés » concessions de terres » genres de culture , main-d'œuvre , prix des denrées , commerce , industrie , secours publics , hygiène , pas un détail ne manque sur tontes ces matières de Téconomie publique et privée. En même temps qu'il nous expose tout ce que la France a accompli dans ce pays depuis sa conquête » il nous ouvre la perspec- tive de ce qu'elle en pourra foire dans l'avenir.

Notre intention n'est pas de présenter ici l'analyse de tout ce volu- mineux travail ; nous ne voulons qu'en extraire ce qui entre dans Tolget de cet article , c'est-à-dire les données relatives à la colonisa- ti(m et qui sont propres à tourner vers l'Afrique les idées d'émigra- tion , à y porter non pas seulement quelques individus qui, ruinés en France» ne peuvent trouver au-debors , comme chez eux» qu'obstacles et difficultés, mais de ces fiimilles saines au moral aussi bien qu'au physique, ayant quelque aisance, capables d'un établissement sérieux, qu'il nous faut voir transporter dans le Nouveau-Monde leurs capitaux et leur expérience en fait de culture.

Déjà , pour propager ces connaissances , et les rendre accessibles à nos populations agricoles, l'autorité départementale a fait imprimer et répandre dans toutes nos communes , une instruction en langue allemande , présentant avec une clarté et une méthode parfaite , tout ce qu'il leur peut être utile de savoir, dans la supposition d*un établis- sement extérieur, tout ce qui leur peut faire préférer nos possessions africaines à une terre étrangère. C'est une heureuse initiative qui aura de l'influence nous n'en doutons pas, et que notre plus vif désir serait de seconder.

La première question que doit se poser celui qui s'est résolu à l'émigration , c'est de savoir quel est le pays qu'on lui propose de choisir ; quelles institutions il y trouvera , de quel degré de sécurité il y pourra jouir.

A ces questions l'ouvrage , publié par le ministère de la guerre, nous fournit des réponses d'une authenticité incontestable , et qui contredisent en plus d'un point les idées généralement acceptées sur l'Afrique.

Le territoire de l'Algérie égale à peu près en étendue les trois quaorts de la France. Il présente une superficie de 390,900 kilomètres carrés, ii 5,000 pour la province d'Alger , 175,900 pour celle de

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Constantine » et J 02,000 pour celle d'Oran. Le développement de ses côtes est d'environ 250 lieues.

Il est traversé , parallèllement à la mer , par la chaîne de l'Atlas dont les contreforts s'étendent d'un côté vers la Méditerranée , de l'autre vers le désert ; une succession de plateaux étages conduisent à son sommet. Les deux versants que la chaîne détermine forment deux zones fort différentes que l'on désigne , celle du Sud , sous le nom de Sahara , région des parcours et des palmiers , celle du Nord, sous celui de Tell , Tellus , région des grandes cultures et des céréales. C'est à cette dernière , dont la possession paisible peut être considérée comme définitivement assurée , qu'ont été bornés jusqu'à présent » et que se boumeront longtemps tous les efforts de la colonisation.

Cette région du Tell partout susceptible de culture , et d'une ferti- lité merveilleuse dans quelques unes de ses parties , comprend en superficie 75>000 kilomètres carrés dans la province de Constantine , 35,000 dans celle d'Oran , et 50,000 dans celle d'Alger, sur lesquels environ 2,500 pour la magnifique plaine de la Miticya qui se déroule entre l'Atlas au Sud , et le Sahel au Nord , et qui touche à la mer à ses deux extrémités Est et Ouest.

La population indigène répandue dans le pays entier , Tell et Sa- hara , n'est que de 2,800,000 à 5,000,000 d'âmes , ce qui donne un chiffre relatif de 7 à 8 habitants par kilomètre carré. On peut juger par de la place disponible. Cette population est répartie ainsi qu'il suit : Dans la province d'Oran 600,000 formant 275 tribus toutes sou- mises et administrées directement ou indirectement par l'autorité mili- taire ; dans celle d'Alger, 900,000 divisés en 290 tribus dont 28 encore insoumises, faisant partie de la Kabylie; dans la province de Constan- tine 1,500,000 composant 580 tribus sur lesquelles 60 établies dans . les montagnes du littoral entre Bougie et Philippeville , doivent égale- ment être considérées comme indépendantes , nos troupes n'ayant point pénétré encore dans cette portion du territoire.

La population européenne , au 51 mars 1852 , s'élevait à 152,982 habitants. Dans ce nombre les Français figurent pour 67,455 ; les Espagnols pour ^42,599 ; les Italiens pour 7,607 ; les Maltais pour 7,492 ; les Allemands pour 5,058 ; les Suisses pour 1,698; les Prus- siens pour 1,120 ; les Belges et les Hollandais pour 594 ; les Portugais pour 510 ; les Anglais et les Irlandais pour 250 , et différentes autres nationalités pour 1,041. Sur le total de 152,982 Européens , la pro-

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vince d'Alger en compe 57»410 , celle d'Oran 46,857 , celle de Con« stantine 38,745; bien entendu que dans ces chiffres ne sont pas com- pris les 75,000 hommes de troupes dont se compose en permanence l'armée d'Afrique.

Le gouvernement général de l'Afrique française comprend le com- mandement de toutes les forces militaires et la haute administration du pays. Il est formé d'un gouverneur-général et d'un conseil du gouver- nement. Le gouverneur fonctionne sous les ordres du ministre de la guerre ; le conseil , présidé par lui , se compose du secrétaire-général » du procureur-général, du chef d'état-mayor-général de l'armée , de l'évéque d'Alger^ du recteur de l'Académie , des doux commandants supérieurs de la marine et du génie et de trois conseillers civils.

Chacune des trois provinces est divisée en territoire civil et en terri- toire militaire. Le territoire civil constitue le département , à la tête duquel est placé un préfet, assisté d'un conseil de préfecture , ayant les mêmes attributions que ceux, de France, sauf quelques cas excep- tionnels réglés par la législation particulière de l'Afrique. Les trois départements sont subdivisés en un nombre plus ou moins grand d'arrondissements adqoinistrés par des sous-préfets , et comprenant : i^des communes érigées en municipalités ; des localités n'ayant que des maires et des ac^oints sans conseils municipaux ; Z^ des dis- tricts dont l'administration est confiée à des commissaires civils.

Le régime municipal est établi dans l'Algérie ; il est applicable à toutes les localités du territoire civil. Les maires et adjoints, institués pour trois ans , peuvent être pris en-dehors des conseils municipaux parmi tous les Français éligibles , et sont nommés par le chef d'Etat dans les communes de 3,000 habitants et au-dessus , ainsi que dans les chefs-lieux d'arrondissement ou de tribunaux ; dans les autres communes, ils sont nommés par les préfets. Les conseils municipaux sont électife ; les étrangers et les indigènes y peuvent être élus, mais seulement dans la proportion du tiers du nombre total de leurs membres. Les villes déjà érigées en municipalités sont : Alger, Blidah, Douera , Bouffarick et Koléah dans le département d'Alger ; Oran et Mostaganem dans celui d'Oran; Bône et Philippeville dans celui de Constantine. Les commissaires civils , nommés par le gouvernement , exercent , sous l'autorité des préfets ou sous-préfets , toutes les fonc- tions de l'ordre administratif et municipal dans les districts ils sont placés.

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Le département d'Alger comprend la préfecture d'Alger , la sons- préfeetiure de Blidah , les municipalités de Bonffimek , de Douera et de Koléah , et les commissariats civils.de Gherdi^, Médéah , Miliana, Ténès et Orléansville.

Le département d'Oran , la préfecture d'Oran , la sous-préfecture de M ostaganem , et les commissariats civils de Tlemcen » Mascara et Arzevir.

Le département de Constantine , la préfecture de Gonstantine , les BOHS-préfectures de Bone et de PhilippevUle , et les commissariats ci^s de La Galle , Bougie , Guelma et Sétif.

L'administration des territoires militaires appartient exclusivement aux autorités militaires. Elle est dirigée , dans chaque province , par le général commandant la division , auquel est attaché un bureau spédal pour les aflbires civiles , et s'étend aux Européens aussi bien qu'aux indigènes. Ghaque division est partagée en subdivisions et en cercles à la tête desquels sont les officiers investis du commandement militaire. Tout le système est placé sous la haute direction du gou- vemeur»général.

De même que l'administration civile » l'organisation judiciaire est semblable à celle qui est établie en France. Elle comprend une cour impériale siégeant à Alger ; six tribunaux de première instance à Alger , Blidah , Oran, Gonstantine, Philippeville et Bone; deux tribu- naux de commerce à Alger et à Oran ; et quatorze justices de paix. La compétence de ces divers degrés de la hiérarchie judiciaire est à peu près la même qu'en France. il n'a point encore été institué de juges de paix» les commissaires civils en remplissent les fonctions.

La grave question du culte ou plutôt des cultes chrétiens n'est point restée en arrière du développement administratif. G'est de 4858 et de 1839 que datent les ordonnances qui ont réglé les cultes catholique et protestant en Algérie ; celle de 1838 a créé l'évédié d'Alger. L'or- ganisation première a été successivement étendue ; aujourd'hui elle est complète. L'évéque est assisté de quatre vicaires généraux et de huit chanoines; le nombre des curés» desservants et vicaires » qui n'était que de 5i , en 1846 , s'est élevé dès 1849 à 114. Le grand séminaire » dirigé par les Lazaristes » compte en moyenne 60 élèves en théologie ; il y en a à-peu*près autant dans le petit séminaire. Toutes les villes ont leurs églises , presque tous les villages » leur chapelle. Partout la population chrétienne n'est point assez impor-

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tante pour avoir un desservant particulier , des prêtres auxiliaires ont pour mission d'y porter l'instruction et les secours de la religion.

Pour le culte protestant» toutes les communautés de F Algérie sont placées sous rantorité d'un Consistoire central séant à Alger; ce Con- sistoire est mixte ; les deux communions y sont représentées. Le personnel du culte comprend en ce moment : le président du Consis- toire » pasteur de l'Eglise réformée , un pasteur de la confession d'Augsboni^, et six pasteurs résidant à Douera , Blidah Oran » Con- stantine , Philippevîlle et Bone.

Sous le rapport de l'instruction publique » les ressources ne se sont pas moins étendues. Les trois départements réunis forment une Aca^ demie. Le recteur , qui dirige le service à tous lés degrés , a sous ses ordres un inspecteur d'Académie et trois inspecteurs des écoles pri- maires au chef-lieu de chaque département. L'enseignement supérieur comprend les cours publics de langue arabe ouverts à Alger , à Con- stantine et à Oran ; l'enseignement secondaire compte un seul établis- sement , le lycée d'Alger ; la ville d'Oran demande et détiendra sans doute la création d'un collège communal ; ailleurs les écoles privées et celles du clergé suffisent aux besoins des bmiUes. C'est l'enseigne- ment primaire qui réclame surtout les soins de l'administration comme l'une des bases d'un bon système colonial , et qui s'est aussi le plus développé dans ces derniers temps. Les trois départements comptent déjà 48 écoles publiques de garçons dont trois dirigées par les frères de la congrégation de Saint-Joseph du Mans , les 45 autres par des instituteurs laïques ; ^0 écoles publiques de filles sur lesquelles il ont des institutrices religieuses ; 8 écoles maternelles ou salles d'asile publiques. A ces établissements il faut s^outer 16 écoles privées de garçons parmi lesquelles l'orphelinat de Ben-Aknoum ; S3 écoles pri- vées de filles et 5 salles d'asile. Ces écoles , toutes chrétiennes, reçoi- vent plus de iO,000 enfants , sans compter les élèves des colonies agricoles qui ne sont pas moins de 4,000.

Tout ce que nous venons d'exposer rapidement sur le régime des provinces d'Afrique , tend à démontrer qu'en s'établissant sur les territoires civils , les émigrants français sont assurés d'y trouver , presque sans différence , les institutions sous lesquelles ils ont vécu dans leur patrie.

Mais la sécurité? cette indispensable confiance dans le lendemain , qui fait que l'on fonde , que l'on défriche, est-elle réelle ? Le foyer

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domestique est-U suflBsammeDt protégé? CTest à ce point de vue, que le résultat fourni par l'ouvrage qui nous occupe , est furtout inattendu. Certes quand Ton songe aux longues hostilités qui ont ensanglanté cette terre , à la haine traditionnelle des Musulmans contre les chré- tiens , à leurs mœurs fiirouches , on est peu disposé à admettre que partout la population européenne est mêlée à la population arabe» on vit au sein d'une sécurité aussi grande que dans le plus paisible de nos départements ; et c'est pourtant ce que nous certifie le tableau des causes portées devant les tribunaux d'Afrique. Voici le résumé de ce tableau pour les quatre années de 1846 à 1850 : 4846 : Affaires criminelles 46!) ; attentats contre les personnes 38 , contre les propriétés 151 ; accusés 285 » Européens 191 , indi- gènes 9S ; acquittés 70.

1847 : Âifeires criminelles 181 ; attentats contre les personnes 45,

contre les propriétés 156; accusés S77, Européens 179, indi- gènes 98 ; acquittés 75.

1848 : Affaires criminelles 196; attentats contre les personnes 56 ;

contre les propriétés 140 ; accusés 512, Européens 185, indi- gènes 127 ; acquittés 70.

1849 : Affiiires criminelles 180 ; attentats contre les personnes 57 ,

contre les propriétés 125 ; accusés 275 , Européens 121 , indi- gènes 152 ; adqjuittés 78.

L'on voit par la comparaison de ces chiffres , que les attentats contre les personnes sont de beaucoup les moins nombreux ; la moyenne des meurtres , empoisonnements , infanticides est , pour toute l'Algérie , de quatorze par année. L'on remarque, en outre, que le nombre des accusés européens a sensiblement diminué dans la dernière année , ce qui autorise à croire que la population coloniale s'est moralisée, et que le personnel des émigrants nouveaux tend à s'améliorer.

Considéré sous le rapport des peines prononcées , c'est-à-dire de la gravité des faits criminels, le tableau cité présente les résultats suivants :

1847 : Emprisonnements 115 ; réclusion 52 ; travaux forcés à temps

51 ; à perpétuité 2 ; à mort 0.

1848 : Emprisonnements 152 ; réclusion 57 ; travaux forcés à temps

59 ; à perpétuité 7 ; à mort 6.

1849 : Emprisonnements 129; réclusion 18 ; travaux forcés à temps

40 ; à perpétuité 7 ; h mort 1 .

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DES POSSESSIONS FRANÇAISES EN AFRIQUE. 45

Nous ne diroos pas certaioement que ces chiffres soient satisGdsanU» car» en fait de crimes 9 pour peu qu'il y en ait, il y en a trop; maiseu égaiTd à la situation particulière du pays, eu égard à ceux que pré- sentent quelques uns de aos départements, Paris surtout, il faut aTOuer qu'ils n'ont point de quoi effhiyer de rémigration.

A ces preuves oflBcielles des garanties que la société offire , aussi bien qu'en France, à tous ses membres, nous sûouterons les données relatives aux influences dimatériques comme intéressant à un plus haut degré encore la vie des colons. Sous ce rapport l'opinion est en général tout aussi peu éclairée. Jugeant du pays par les pertes essuyées dans les premiers temps , alors qu'on ignorait l'hygiène convenable , et que de grands marais, non encore desséchés, propageaient les fièvres avec leurs miasmes pestilentiels , on en a regardé le dimat comme insalubre, meurtrier. Or voici ce qui résulte de la comparaison des tables de mortalité pour la population européenne , pendant les trois années 4847 , 1*848 et 4849 ; cette dernière a été marquée par l'invasion du choléra en Afirique :

1847. 1848. fM9(tti.^<Mn.)

Province d'Alger : 4,97 p. % 4,48 p. «/o 6»77p. %

Province d'Oran : 4,56 3,98 40

Province de Constantine : 5,59 5,60 45

Le chi£fre moyen de la mortalité pour les populations indigènes musulmanes est approximativement de 4 pour %• En 4849 il a été de 8,55 p. o/o.

Pour les indigènes Israélites , la moyenne est à peine de 3 p. Vo ^^ ne s'est élevé qu'à 5,69 p. % en 4849.

Comparés aux décès des Européens étrangers , ceux des Français offrent les proportions suivantes pour les mêmes années :

4847 : Français 5,08 p. % Etrangers 4,84 p. %

4848: 4,47 4,48

4849: 40,45 8,43

Cette différence en plus s'explique aisément si Ton réfléchit que la population française est plus dispersée dans les campagnes , et sou- mise à des travaux plus rudes.

Du reste les chiffres varient , d'une localité à l'autre , non seulement par suite de causes locales, mais encore par l'inégale répartition des nouveaux immigrants; ainsi en 4848 , tandis que le rapport s'est élevé à 7 p. % à Philippeville , à 6,90 p. <^/o à Milianah , il n'était que de

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2»! 7 à Médéab et i,lA à Bougie. Quant aux causes locales » Ton peut dire que toutes celles qui sont pernicieuses et auxquelles il est possible de remédier, ont été victorieusement combattues. D'immenses travaux d'assainissement ont été exécutés ; d'anciens canaux dégradés ont été rétablis ; outre la Mitidja , quinze grands marais » offrant une superficie de 7,581 hectares , ont été desséchés et rendus à la culture. Ces travaux ont changé du tout au tout les conditions de mortalité sur de certains points ; pour n'en citer qu'un exemple entre plusieurs, à Bouffarick, en 1847, la proportion des morts était encore de 15,40 p. %; en 1848, après l'assainissement, elle touchait à la moyenne générale , à 4,93. Le climat n'a rien d'excessif. Les observations mé- téorologiques foites à Oran , de 1841 à 1851 , donnent une température moyenne de 10^,17 pour l'hiver, de 15'',18 pour le printemps, de 23<',78 pour Tété , et de 18<>,36 pour l'automne ; le minimum observé sur quatre années a été de 1«, le maximum de 37° ; dans l'intérieur , il est vrai , ce chiffre s'élève quelque fois jusqu'à 45''. Il y tombe de la neige une fois tous les deux ans environ. L'hiver est en Afrique la saison des pluies qui commence en octobre et finit vers le mois de mars. La moyenne des jours de pluie est de 54 par an , et celle de la quantité d'eau tombée , de 443 millimètres. Il n'y a rien dans ces données de bien différent de ce qu'offre le climat du Midi de la France.

Qu'on ne se figure point , d'ailleurs , qu'en cas de maladie l'on soit .destitué en Afrique des ressources que nous trouvons dans notre pa- trie. Le service de santé a reçu depuis 1845 de grands développements. Outre 47 hôpitaux ou ambulances militaires ouverts à tout le monde, il y a 7 hôpitaux civils et 7 dispensaires ; l'administration rétribue dans les principaux centres de colonisation des médecins spéciaux pour le traitement gratuit des colons indigents ; ils ont chacun leur circon- scription rurale : la province d'Alger en compte 13 , celle d'Oran 6, celle de Constantine 6 également. Il y a une direction vaccinale , une école d'accouchement.

Les enfants abandojnnés ou sans famille reconnue reçoivent les soins les plus touchants. Une maison dite de la Sainte-Enfance , tenue par les sœurs de Saint-Vincent de Paule , les prend de trois à six ans, puis ils sont répartis dans les orphelinats ou maisons d'apprentissage fon- dées dans les trois provinces , ils sont entretenus et instruits jusqu'à l'âge de dix-huit ans. Le plus considérable de ces établissements est celui de Ben-Aknoum , province d'Alger , dirigé par l'abbé Brumauld.

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DES POSSESSIONS FRANÇAISES EN AFRIQUE. x 15

Le succès obtenu par ce digne prêtre a été tel qu'on a songé à lui confier des enCants trouvés et des orphelins de France ; déjà 30Q lui ont été envoyés pour être élevés aux frais soit de Tadministnilion générale de Tassistance publique de Paris, soit du ministère de l'Inté- rienr. D'une autre part un certain nombre de conseils généraux ont voté en 4852 le placement d'enfants de leurs départements dans l'or- phelinat de Hisserghin , province d'Oran : ce seront d'eicellents noyaux de colonisation , d'où sortiront des si^iits tout acclimatés , presque nés dans le pays.

Les travaux d'assainissement dont nous venons de parler, les éta- blissements de secours et d'instruction ne sont qu'une fiaible partie de tout ce que le gouvernement a fait exécuter ou par nos années ou par les indigènes , tant pour assurer la possession que pour ouvrir les voies à la colonisation. Ainsi , entre les frontières du Maroc et celles de la régence de Tunis , T Algérie ne ^x>mpte pas moins de trente-trois villes fortifiées , et dans l'enceinte de ces villes ou dans des postes détachés , des constructions militaims .propres à ivecevoir près de 5O»Û00 hommes; dix-sept ports ont élé ouverts au eommerce sur ces oôtes autrefois sans abri, entre lesquels le port d'Alger, ouvrage gigantesque d^ fort avancé , et qui , achevé , présentera des batteries formidables » et une nappe d'eau de 95 hectares en superficie 40 vaisseaux de ligne se trouveront à l'aise. Un triple système de route, les unes courant parallèlement à la mer, les antres pariant de la mer et s'enfon((^t du Nord au Sud jusqu'aux limites du Sahara , les uroi- sièmes enfin , servant d'intermédiaires , relie entre elles toutes les portions du territoire et forme un réseau de phis de mille lieues de développement. Les grands murais desséchés ,254,000 mètres de canaux d'irrigaticm , 75,000 de rigoles, creusés , le fameux barrage exécuté à Saint-Denys du Sig , destiné à répandre la fraîcheur et la fécondité sur une étendue de 5,000 hectares ; 117,000 mètres d'aque- ducs, 450 fontaines, châteaux-d'eau ou réservoirs , alimentant d'eaux potables les villes et les villages ; des caravansérails dans tous les principaux centres de population ; des dépôts d'immignmts ouverts dans les ports d'Alger , d'Oran , de Philippeville et de Boue , les nouveaux arrivés peuvent s^ourner quatre à cinq jours , prendre langue et entrer en rapport avec les patrons ; des pépinières et des fermes créées pour l'essai de tous les genres de culture ; tous ces travaux achevés , d'autres qui s'étudient , nous montrent que ce beau

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pays est admiraUement préparé » et qo'il n'attend pins que des colons français pour rendre avec usure à la patrie tout ce qu'il lui a coûté.

Quelle est aiqourd'bui la situation des colonies établies ; sur quels points convient-il de diriger les émigrants à venir ; quelles sont les cultures qui oth*ent le plus de chances de succès , les essais qui ont été faits déjà » les débouchés ouverts ?

Nous allons présenter à ce point de vue le résumé des documents officiels , en distinguant , comme l'ouvragé que nous analysons , les établissements français en centres créés par radministration en terriurire dM, centres créés en territoire militaire, colomes agricoles fondées en 4848 et 49 , en vertu de la loi de septembre 1848 , enfin colonisation libre. U est b(m de ne pas oublier que les chiffres que nous allons donner datent de la fin de Tannée 4880.

PROVINCE D'ALGER.

Centres créés par Vaiministraiion en territoire dvU : Ils sont au nombre de 37 , sur lesquels 7 villes » Alger , Koléah au Nord, et Blidah au Sud de la plaine de la Mitidja » Gberchel et Tenez sur la mer, à l'Ouest d'Alger, Milianah et Médéah vers l'intérieur. C'est aux envi- rons d'Alger , et surtout autour ou dans l'intérieur de la Mitidja que se trouvent.presque tous les trente autres. Les plus importants , ceux qui méritent particulièrement d'être recommandés par leur prospérité sont , outre les villes citées , Chéragas près d'Alger , des colons du Var ont introduit la ftbrication des essences ; Ain-Bénian le ministre de la guerre vient d'accorder un établissement à un certain nombre de familles du département de la Haute^ône ; Ouled-Fayet qui ren- ferme de riches concessionnaires ; Notre-Dame-de-Fouka et Douaouda enrichis par l'élève du bétail; Douera, considérablement agrandi; Bouffarick , Béni-Méred, fondé par le maréchal Bugeaud , l'épreuve la mieux réussie de son système de colonisation ; Joinville, Montpensier qui tirent leur aisance de l'inépuisable fécondité de la plaine ils sont situés , et Mouzaïa-Ies*Mines près de Médéah , s'exploitent des mines de cuivre.

En territoire nûUtaire : Orléansville , Teniet-el-Haad , Boghar , Au- male vers l'intérieur de la province, et Dellys sur la mer à l'Est d'Alger.

La superficie totale des terrains concédés à ces divers centres , est en hectares de 259234,02 ; les constructions de toute nature qui y ont

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DES POSSESSIONS FRANÇAI6BS EN AFRIQUE. 47

été élevées, sont évaluées à ii»K94,940 fr. ; ils possèdent ensemble, en chevaux et bestiaux de diverses sortes , 19 J45 têtes.

PROVINCE DORAN.

Territoire civil : Les centres créés sont d'abord les quatre villes d'Oran , Mostaganem , Arzew toutes les trois sur la mer , et Mascara dans l'intérieur puis huit villages dont les plus considérables sont Valmy qui se livre à l'élève du bétail , à la culture du eotop et du mûrier; La Senia et Ain-Turck, dans la magnifique plaine des Anda- lous, dont la fertilité assure la prospérité des colons; Sidi-Chami , riche en bestiaux, et Mers*el-Kébir % port et annexe d'Oran ; tous ces établissements sont dans le rayon de ce chef-lieu de la province ; près de Mostaganem on remarque Mazagran.

Jerrifotre militaire : On y compte dix-neuf centres : outre les deux villes de Sidi-Bel-Abbes et de Tlemcon qui forment deux étapes d'é-* gale distance entre Mascara et la frontière du Maroc , U but citer Saint-Denys-du-Sig , une des colonies les plus florissante» d'Afriqne depuis qu'on y a exécuté le grand travail du barrage du Sig ; elle est sur la route d'Oran à Mascara ; La Stidia dont la population esl en ms^jeure partie composée de familles prpssiennes , dans le voisinage de Mostaganem; Nemours» l'ancienne Diemaa-Ghamouat , sur la fron- tière du Maroc, port qui a beaucoup augmenté 'd'importance, et Tiaret , le centre le plus éloigpé de la cAte , sur la limite des deux provinces d'Alger et d'Oran.

Les concessions faites à toutes ces villes et villages forment , en étendue , 35,306 hectares ; la valeur des constructions y est e&tittée à 2,726,074 fr. , et le nombre des têtes de bétail est de 41,268.

PROVINCE DE CONSTANTraE.

Terrilotre civil : Cette province est celle des trois il a été créé le moins d'établissements ; il n'y en a en effet que iQ; mais ceux qu'elle possède sont fort considérables ; ce sont les villes de Consiantine dont la banlieue agricole comprend i 4,000 hectares , Philippevllle, Bone, La Calle , trois ports dont le dernier touche à la frontière de Tunis ; La Calle tire de grandes ressources de l'exploitation des mines et des forêts de chénes-liéges ; Bougie, autre port vers Alger, dont l'impor- tance s'accroîtra par l'ouverture de ki route de Sétif ; et Guelma dans l'intérieur , à l'Est de Constantine ; le village de Bugeaud dans le

B*Aiiié«. 2

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rayon de BoDe , k l'entrée de la forél de l'Edough ; c'est un établis- sement d6 bûcherons ; plusieurs familles des Vosges y ont été appelées et logées par l'administration; Valée, Damrémont autour de Philippe- ville se livrent à l'élève du bétail.

Territoire mititaire : Il renferme huit centres ; Sétif le plus impor- tant où les bras ont longtemps fait défaut à l'agriculture , mais la colonisation prend de grands accroissements depuis qu'il a' été mis en communication avec Bougie; Djidjelly sur la mer, à l'Est de Bougie ; Batna , sur le passage du Tell au Sahara ; cette ville est destinée à devenir un des principaux entrepôts de marchandises entre le Nord et le Sud ; Biskara » le centre le plus avancé dans le Sahara ; le sol et le climat y sont très-propres aux cultures tropicales ; c'est d'ailleurs un débouché de la France avec l'intérieur de l'Afrique.

La somme des terrains concédés au commencement de 1851 dans la province de Constantine, était de 18,023 hectBres ;'il y faut sgouter augourd'hui les 20,000 hectares dont coucession vient d'être faite à une compagnie de Genève pour l'établissement de familles suisses. La propriété bâtie y est évaluée à 6,357,090 fr. , et le nombre des bes- tiaux à 11,333.

Colonies agricoles : Dans le but d'imprimer à la colonisation de l'A- frique un essor soutenu , et en même temps d'ouvrir des voles nou- velles à l'activité des travailleurs que la stagnation des affaires laissaient inoccupés, f Assemblée nationale vota, le 19 septembre 1848, un crédit de 50 millions à répartir entre plusieurs exercices , pour l'éta- blissement de colonies agricoles. Les émigrants , cultivateurs et ou- vriers d'art , au nombre de 13,500, furent distribués dans 42 centres agricoles , dont douze dans la province d'Alger , échelonnés sur des routes , ou placés dans le voisinage de villes déjà importantes ; vingt- et-un dans la province d'Oran dans les rayons de Mostaganem , Arzevi^ et Oran ; neuf dans les cercles de Bone , Guelma et Philippeville dans la province de Constantine. Chaque famille reçut une maison d'habi- tation , un lot de terres de huit à dix hectares , indépendamment d'une parcelle de terrain affecté au jardinage , des instruments aratoires , quelque bétail , enûn des rations journalières de vivres. Le succès de ce puissant effort resta bien au-dessous des sacrifices ; on reconnut promptement que , de la part de beaucoup d'ouvriers, le déplacement n'avait pas eu un but sérieux ; et que le choix défectueux des colons recrutés presque tous dans les ateliers de Paris, et tout-à-fait impropres

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au travail des champs » créait d'insurmontables obstacles. Il fallut , soit par des renoDciations voloutaires, soit par Téviction , en ramener un bon nombre et les remplacer par des familles de cultivateurs et par d'anciens militaires.

En somme l'Etat fournit à ces colonies agricoles 3,745 maisons , 5,348 autres constructions de diverses natures; 5,350 têtes de bétail» environ SS^OOG objets et instruments aratoires , et 25 J28 hectares de terres.

L'envoi de colons devait se continuer en 1849. L'administration créa douze nouveaux villages pour les immigrants qu'on attendait. Mais le trésor était à bout ; le gouvernement dut renoncer au système établi par la loi de 1848 ; il se décida à peupler ces villages de familles capables de pourvoir elles-mêmes à leur installatiam , auxquelles il concéderait une maison bâtie et huit à dix hectares de terres » sans subvention d'aucun autre genre. C'est sur ces points qu'il dirige prin- cipalement l'émigration actuelle , en groupant , autant que possible dans chaque nouveau centre , des populations d'un même départe- ment , se connaissant déjà , et en ayant soin de les placer dans des situations topographiques analogues à celles qu'elles avaient occupées dans la mère-patrie.

Colontsation libre: Indépendamment des efforts de l'Etat, les capi- taux privés ont , sur certains points , activement concouru au but. Autour d'Alger surtout , dans le Sahel , dans le territoire de Béni- Moussa , la plaine de la Mitidja , sur les rives de l'Harach , se sont élevées un grand nombre de fermes dont quefques unes fort considé- rables ; ces exploitations représentaient en i830 , dans le seul arron- dissement de Blidah , au-delà de 14,000 hectares en territoire civil , et environ 1,000 en territoire militaire. Entre toutes , il faut citer celle des Trappistes de Staouêli , dans le Sahel ; l'étendue de la concession est de 1,020 hectares ; la valeur des constructions , faites à la fin de 1849, était de plus de 300,000 fr. Outre un matériel complet d'ex- ploitation , il existe sur la propriété deux fours à chaux , une brique- terie , une forge , une brasserie , une menuiserie , un établissement de charronnage ; quatre fontaines arrosent les terres ; les religieux y ont même créé une pépinière et une vaste orangerie.

Dans la province d*Oran , le nombre des propriétés particulières » fondées en-dehors des centres , s'élève à près de 300 dans les deux banlieues d'Oran et de Mostaganem ; cinq à six mille hectares ont été

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20 REVUE D'ALSACE.

concédés , en outre , sur le territoire militaire , particulièrement sur les bords du Sig près de Saint-Denys.

La province de Constantine , la plus éloignée des côtes de la France, est celle qui a offert jusqu'ici le moins d*exploitations privées , quoi- qu'elle possède les plus belles terres à grains du monde ; à la fin de 1847 on a livré , à la colonisation libre , 12,000 hectares , dans la vallée du Safsaf ; mais on avait adopté le système des grandes conces- sions qui n'ont jamais produit d'établissements sérieux ; dans la vallée du Bou-Merzoug on comptait, en 1850 , 53 exploitations de 40 à 100 hectares , et quelques fermes autour de Sétif. Mais la concession que le gouvernement français vient de faire à une compagnie genevoise , de 20,000 hectares, dans le rayon de cette dernière ville , va ouvrir la voie à l'activité privée. D'après les conditions imposées , chaque section de 2,000 hectares , dont les concessionnaires seront successi- vement mis en possession , entraîne la création d'un village composé de cinquante familles de cultivateurs européens; chaque colon apporte une somme de 3,000 fr. , dont une partie est déposée comme garantie entre les mains du gouvernement qui la restitue à intervalles fixes. Du reste la compagnie genevoise ne reçoit aucune subvention. C'est par que cette concession est digne de remarque : c'est la première fois que les capitaux tentent ainsi l'entreprise de la colonisation en Afrique, sans appui de l'Etat , et ne comptant que sur eux-mêmes ; c'est d'un augure favorable.

Pour compléter ce que nous venons de dire de la colonisation libre, nous ajouterons les règles les plus essentielles auxquelles les conces- sions de terre sont assujetties.

Toute concession soumet le concessionnaire à payer au domaine une rente annuelle et perpétuelle dont le chiffire est proportionné à Timportance de l'immeuble et des dépenses à y effectuer ; cette rente n'^est exigible qu'après l'entier accomplissement des travaux imposés.

La concession n'est définitive qu'autant que les conditions prescrites et consignées dans l'acte , sont exécutées dans le délai donné , lequel peut être prorogé. Si le concessionnaire ne requiert pas sa mise en possession dans les trois mois qui suivent la concession , il est déchu de plein droit.

Les justifications de ressources de la part du concessionnaire peuvent être produites sous la forme soit d'extraits de rôles des contributions directes avec titres de propriété non grevés d'hypothèques , soit de

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DES POSSESSIONS FRANÇAISES EN AFRIQUE. 21

certificats émanant de maires et percepteurs , ou des chanibres et tribunaux de commerce , soit d'actes de notoriété publique passés devant le juge de paix. Ces justifications sont indispensables pour dé- terminer rétendue des concessions qui doit varier nécessairement selon les ressoiuH^es des pétitionnaires. Le minimum exigé est de 15,000 fr. En justifiant de cette somme, les demandeurs peuvent obtenir un lot de trois ou quatre hectares dans un des villages en cours de peuplement.

Lorsque les pétitionnaires ne se rendent pas sur les lieux avant l'admission de leur demande , ils doivent se faire représenter auprès de l'autorité locale par un mandataire chargé de débattre les condi- tions y et de requérir la mise en possession ; les concessionnaires , ainsi que leur fiimille et les colons attachés à leur exploitation » sont admis au passage gratuit sur mer pour la première traversée.

Ch. de Lasablière.

(La fin à um procAotfM Uvrciiton.j

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QUELQUES NOTES

m m itcimis

DE SAINT-MICHEL

Les sept archanges des Juifs étaient » selon les livres sacrés de ce peuple , sans cesse présents devant le Seigneur. Tels les sept génies ou esprits de premier ordre , nommés Àmschaspandt dans les livres théologiques des Perses « formaient le cortège du dieu Ormusd.

II est impossible de ne point reconnaître dans ces deux sortes d*Izeds on esprits célestes une analogie qui ne peut s'expliquer que par l'ana- logie des deux cosmogonies hébraïque et persique , telles que nous les font connaître les traditions des deux peuples. Ces traditions » en effet , mentionnent non seulement ces sept génies supérieurs . placés près du trftne de Dieu ; mais encore tous ces génies d'ordres inférieurs et différents dont les sept cieux des planètes ont incontestablement fourni le type hiérarchique.

Le législateur spiritualiste ne nomme point » il est vrai , ces anges dans les livres des lois hébraïques. Ni dans le Lévîiiquey ni dans le Deutéronome' W n'en est fait mention. Mais il en est souvent parlé au contraire dans les livres historiques » et surtout dans ceux qui furent écrits après que le peuple juif eut été captif à Babylone » cette théorie des anges était aussi ancienne que celle de la création du monde. C'est alors» du moins, qu'on y trouve cités les noms de Raphaël»

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QUELQUES NOTES SUR LES LÉGENDES DE SAINT-MICHEL. SS

de Gabriel , de Hichaêl , noms essentieUemejQt chaldéens , dont la dernière syllabe n'exprime qu'une idée de sainteté , et que les Hébreux empruntèrent incontestablemeut aux Babyloniens ces esprits cé- lestes jouaient un si grand rôle dans Tordre de la nature.

En comparant , en effet , le livre de la Genèse persique à la Genèse hébraïque . attribuée à Moïse , on ne peut douter que les deux cosmo- gonies ne soient uneê. Dans les deux livres se trouve le dogme des deux principes qui sert de base aux fictions cosmogoniques le serpent est le premier agent qui introduit le mal dans le monde. C'est dans le Boundehèseh ou dans la cosmogonie des Perses que se trouve toute la théorie des bons et des mauvais anges , des Izeds et des Dews , qui , les uns , soutiennent le dieu , principe de lumière» et les autres , son ennemi » principe des ténèbres , et qui se livrent dans l'empirée un combat dans lequel le dieu de lumière reste vainqueur « et les mau- vais esprits sont précipités dans l'abtme. C'est , sous une autre forme, dans d'autres cosmogonies, le combat des dieux contre les géants aux pieds de serpent , image non moins poétique de la révolution du céleste empire , dans laquelle Hercule vient prêter son secours aux dieux«

Or Saint-Michel , dont nous allons commenter les légendes , comme nous avons» dans une autre occasion» commenté celles de Saint- Georges» 0) a tous les caractères de l'Hercule céleste. Car» si » d'après la philosophie orientale » qui renferme à la fois dans la nature le prin- cipe matériel uni au principe intelligent » si , dis-je , d'après ce sys- tème , la cabale hébraïque donna à Michel Tadministration de la pla- nète à laquelle , chez les Egyptiens » chez les Grecs et chez les peuples occidentaux » était attaché le dieu Mercure , on ne peut douter » d'un autre côté» que le serpent, dont triomphe l'archange et qui symbolise dans notre culte sa valeur et sa force » n'ait été » dans la cosmogonie persique et chaldéenne » il le foule aussi , le même serpent dont triomphe l'Hercule céleste.

La fête de Saint-Michel , telle que l'Eglise Fa fixée » tombe en effet au 39 septembre » le même jour » par conséquent » se célébraient encore » du temps de Constantin , les ludi fataks. (^) C'est la même époque aussi l'Hercule céleste foule le dragon du pôle qu'il tient écrasé sous ses pieds.

(*) Mèiâogir des êciencei Mêtoriquês de Belgique, année 1849.

(*) Voy. dans Petac , UranoL , tom. ui , p. 112 » le calendrier de Constantin.

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34 REVUE D'ALSACE.

Or , on sait que l*Hercule céleste monte au ciel avec le signe de la balance , cette balance que tient aussi Saint-Michel pour peser les âmes 9 et tel qu'il apparut à Févéque de Siponte. On donnait à l'ar- change une tète de lion , animal de la peau duquel l'Hercule céleste est représenté vêtu, lorsqu'il tient écrasé le dragon* Comme cet Her- cule à qui la Grèce éleva des temples , et dont Saint-Michel prit les attributs» comme cet Hercule qui avait son siège près de l'arbre aux pommes fatales » et qui était placé sur les limites occidentales qui fixent le passage des âmes aux enfers , Michel , lui aussi , a tons les caractères guerriers qu'Hercule emprunte du signe de Mars , qui était domicile du dieu des combats » et auquel il répond en grande partie.

Aussi Saint-Michel devint-il l'ange belliqueux des chrétiens» quand» au cuite du Sabinisme et à celui des Hébreux succéda le culte spiri- tualisé du Christ.

L'ancienne tradition juive admettait dix degrésou dix ordres d'anges. L'Eglise chrétienne » depuis Grégoire i » n'en admet plus que neuf, poHtagés en trois hiérarchies ou chœurs. C'est le deuxième ordre de la troisième hiérarchie qu'occupent les archanges {}) qui » dans l'an- tique tradiUon cbaldéenne » étaient placés au premier degré. Ce sont ces diœurs d'anges qui , dans la loi chrétienne , formeront le conseil du Christ à la fin du monde.

Saint-Michel est le plus renommé de tous ces esprits célestes. Les deux symboles qui le caractérisent» la balance et le dragon terrassé » en font le type à la fois de la justice et de la force. On naît bdliqueax » quand on vient au monde le jour qui lui est consacré » comme on était censé le devenir» dans l'antiquité » quand on naissait le jour» désigné» dttis la sphère des trois cent soixante décans » par l'homme au jatelot» qui répond au saint guerrier» et celui » dans la sphère persique (*)» figure au premier décan delà balance» l'homme au regard menaçant» qui tient la balance à la main et a près de lui la tête du dragon. Comme juge des bonnes et des mauvaises actions » qu'il pèse dès que les hommes ont rendu le dernier soupir » Saint-Michel est représenté i Rome à côté des six autres archanges (<) » dans l'église de Sainte-

- ('} s. Dents , CœlêitU hierarchia, chap. 6.

(*) SCALIGER, Not. ad ManiL » pages 343 et 451.

(') Rapfasdl , Hamièl , Gabriel, ZapUêl, Zadykiël, Gfaamaël» présidant, dans le système cabalistique , au Soleil » à Vénus , k la Unie» à 8ft4unM » à lufdler et k Mars. Voy. Kuk , QBdip. , tom. ii , part, i , page 210.

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Pc 2 vu 6 d'x\lsai

sa:n:7-m::hi:. r^KSANT les âmes.

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Revue d'Aïs ace

Ltlh £. SiMCK -i .•'^ATfvtery

SA:NT -ViiCHEL TERPASSANT LE :]IABLE .

v-^ec ^^z vestiges d'une Demture murale delà Caf:hédmle de Coutanc^s. ! Comme Rcemenr du XIV"^ siècle].

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QUELQUES NOTES SUR LES LÉGENDES DE SAINT-MICHEL. 2S

Harie-aux-Anges, dmt fie tr a Aiit la coasécration , et TarcbMige dîl lui-même : c Je ncu frèi à recevoir leê Ùmei. >

Ces deux ayraboles de justice et de force avaient bit du câeale géiie, an nioyen*âge , le prototype de la chetalerie , comme le ftot Saint-Georges , auquel il était associé dans tout ce qui avait rapport à elle. L'Eglise, et la France en particulier, étaient sous ca protection . Le pape Boniface m , en son lionnenr, avait bâti , an septième sfède « aor le tombeau d'Adrien , la chapelle qui fit donner le nom de Soiin- Ange k ce mole colossal. C'avait été » dit-on , pour perpétuer le sou- venir de l'apparition que le guerrier de la milice céleste avait faite à Rone , apparition dont il n'est cependant fait mention que deux siècles plus tard dans les vers du poète chrétien Drépanios Floras. Celle que l'arcbange it dans la PouiHe , sur le mont <iargan , vers Tan 495» est pins célèbre. C'est le 8 mai que l'Eglif e en hit mémoire , ainsi que l'indique le MartyrolOfife romain.

QtKwqoe Virgile, Horace, Strabon, Pomponins Mêla et d'autres historiens de l'antiquité aient parié du mont fiargan qui , poor servir des expresaioiis de Lncain , s'avanoe dans ta PumHe , au Sein des flots de l'Adriatique , (i) le fivre des légendes , telles que l'Eglise les reconnaît , dit que le nom que porte cette montagne lui vient de Garganos , riche habitant de Siponte , qui , ayant perdu un de ses bceufs et l'ayant longtemps cherché , Farvait enfin aperçu à son sommet , à l'entrée d'une grotte ; Garganus dans sa colère , avait déoo« efaé contre l'animal une flèche , qoi cependant ne l'avait point atteint» mais qui , rebondissant sur elle-même , était venu blesser le furieux archer.

Etonné de ce miracle , l'homme était redescendu à la ville , et n'a- vait en rien de plus pressé que d'aller raconter à l'évéque ce qui tai était arrivé, c Sache, lui avait répondu le prélat , que pour counaltre c la volonté du ciel , et pour apprécier ce qu'il M plaft de nous en- c voyer de bien et de mal , il âiut le consulter. » Et ayant donné au penpie Tordre de jeûner et de prier pendant trois jours , il avait aitead« qu'au bout de ce terme Dieu lui révélât ses décreu. En , en elfet , Saint^Hichel était venu se présenter à ses regards , et lui avait dit : c Je suis l'ange de Dieu , l'esprit céleste qui est toujours devant < le Seigneur. Je fais mon séjour sur le sommet du roc , et je n'ai pas

C) Âfpuluê Àdriacaê exit Gmrganui in undat» Logain.

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permis que Garganus', dans sa fareur, soaillât ce saint lieu. > A peine ces paroles avaient été prononcées , que l'ange avait dispara comme une ombre . laissant dans l'extase l'évéque qui , dès le lendemain , avait assemblé tout son clergé , et suivi de la foule , avait fait procession* nellement l'ascension de la montagne » et , à l'entrée de la grotte , avait à genoux , avec le peuple , remercié le divin messager.

Saint-Michel ne les oublia pas. Car, ajoute la légende , lorsque plus tard , la Pouilie , comme le reste de l'Italie , était dévastée par les Barbares encore païens , et que l'évéque et tout le peuple de Siponte jeûnaient et priaient Dieu de détourner de cette contrée les malheurs qui la menaçaient . l'archange vint de nouveau se présenter devant le prélat. Il lui promit son assistance et lui enjoignit de faire attaquer l'ennemi , dès que Noue serait arrivée. Les chrétiens firent immédia* tement leurs préparatifs , et à l'heure précisée par le saint , il s'éleva un orage qui , couvrant les Barbares d'une grêle épouvantable , les mit dans la plus grande confusion. Plus de cinq cents prisonniers , qui avaient été témoins du miracle , et qui apprirent que le chevalier de la milice céleste avait combattu contre eux , demandèrent à rece* voir le baptême. Le lendemain , les chrétiens montèrent vers la grotte l'archange faisait son séjour, afin de lui ofl'rir leurs actions de grâce. On voyait dans la pieire les empreintes des pas du redoutable guer- rier qui , la veille , avait fait fuir les Païens. Une sainte horreur rete- nait chacun à l'entrée de cette grotte mystérieuse ; personne n'osait entrer. Mais on bâtit à c6té une église sous les voûtes de laquelle devaient désormais retentir les prières des populations que l'archange avait sauvées.

Cependant l'évéque alla lui-même à Rome rendre compte au pape Gélase de ces miraculeux événements » et le consulter pour savoir s'il ne devait point aussi faire la consécration de la grotte. Tandis que le Saint-Père , dans son indécision , ordonnait des jeûnes et des prières, afin que Dieu l'inspirât dans sa réponse , Saint-Michel apparut pour la troisième fois à l'évéque pendant son sommeil, c J'ai moi-même , c lui dit-il , consacré ma demeure ; viens demain y officier ; je serai > présent : j'y serai toujours désormais pour servir de consolation à c ceux qui auront recoura à moi. >

Et , en effet , quand , le lendemain , l'évéque se rendit sur la mon- tagne , suivi de toute la foule du peuple , il trouva au-dessus du rocher une chapelle dont les arceaux s'étalent arrondis comme par enchan-

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tement ; et » en montant les degrés qui y conduisaient, il entendit les chants des anges» et vit l'autel drapé de pourpre, et une lumière étincelante qui Téclairait. S'agenouillant sur le marche-pied , il offrit le saint sacriflce » et prenant une eau pure qui tombait du rocher , il en aspergea la fouie , qui s'écoula en silence, et derrière laquelle la porte se referma d'elle-même.

Cette eau miraculeuse , ajoute le légendaire , guérit les maux de ceux qui ont foi dans la protection de Saint-Michel.

La légende elle-même , selon toute probabilité , fut écrite peu de temps après le pontificat de Gélase i , qui mourut, comme on sait, le 21 novembre 496, après avoir porté la tiare pendant quatre ans et huit mois.

Les deux légendes qui furent écrites plus tard , et dont l'une a pour héros l^mpereur Henri n , surnommé le Boiteux et le Scùnt , quoique en vogue dans la contrée , n'ont point cependant la même autorité canonique.

Henri u , on le sait , prince doué de qualités brillantes et que sa profonde piété fit, en il 46, mettre au rang des saints, avec son épouse Cnnégonde , par le pape Eugène m , fut contraint , pendant son règne , de faire deux expéditions en Italie contre Arduin , mar- quis d'Ivrée, qui , dans son ambition , avait su se faire un parti parmi les Lombards , et s'était fait donner la couronne. Henri , après l'avoir vaincu en 1015 , s'était retiré à Pavie , lorsqu'une faction ennemie , surprenant le palais , arrêta l'empereur et lui donna des gardes. Henri, pour se sauver, eut le courage de sauter par une fenêtre. Mais, dans sa chute, il se démit une cuisse, accident dont il se ressentit le reste de sa vie.

Dans la légende , c'est pendant que le souverain était dans la Fouille, rhistoire, en effet , nous le représente , venant , en 1022 , rendre grâce à Dieu sur le mont Gargan de ses victoires sur les Grecs et les Sarrasins, et de la prise de Bénévent , de Naples, de Capoue, de Sa- lerne et d'autres villes qu'un attouchement de Saint-Michel produit sur lui cette infirmité.

Tandis , en effet , que , les portes fermées et le peuple refoulé en- dehors de la chapelle, le prince, dans son religieux extase, écoute le chœur des anges, la voûte du temple s'éclaire tout-à-coup , et, sous ses arceaux , se montre le céleste esprit , tout élinceiant de lu- mière , et le Christ à qui l'archange présente le missel , sur lequel le

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Sauv^eur imprime un baiser. Par ordre du divin maître , l'ange alors s'avance vers l'empereur qui , étonné et immobile , reste comme pétrifié , jusqu'à ce que Saint-Micbel , le saisissant par la hanche , le contraint de se pencher sur le livre et de l'embrasser à son tour.

Depuis ce temps, dit la légende, Henri resta boiteux , mais bénit le ciel d'avoir permis qu'il le fût dans de pareilles circonstances.

L'autre récit que fait le légendaire a quelque chose de plus poétique.

En effet » figurez-vous le peuple de Siponte » se rendant à la cathé- drale , le Jour consacré à Saint-Michel. Figurez-vous la mer hou- leuse 9 soulevée par l'orage , s'avançant jusque dans le chemin qui , de la ville basse , conduit au saint lieu. Voyez cette femme encemte , qui ne craint pas d'aCRronter les vagues , pour aller rendre hommage au divin chevalier. Entendez les cris de cette foule» lorsque cette femme » entraînée par la mer , disparaît dans les flots , mais que tont- à-coup on la voit reparaître à leur surface , soutenue par l'archange et mettant au monde sur ce lit liquide l'enfant qu'elle a dans son sdn. Voyez la mère , conduite par le saint patron , regagner le rivage » l'enfant suspendu à sa mamelle , et dites si cette légende qui fait la foi de tout un peuple n'a pas quelque chose de sacrée.

Siponte était une des nombreuses colonies que les Grecs avaient fondées dans le Sud de la péninsule italique. Strabon attribue cette fondation à Diomède , petit-fils d'Enée qui , de retour du siège de Troie , et sur le point d'être victime de la perfidie de son épouse » vint aborder avec ses vaisseeux au pied du mont Gargan.

C'est la plus ancienne tradition du culte grec dans ces contrées , culte qui y resta florissant sous l'époque romaine , jusqu'au temps le christianisme le renversa.

Nous avons va » par les légendes du cinquième siècle» le mysticisme chrétien appeler sur le mont Gargan la foi des populations. Déjà sous l'ancien culte les visions s'y opéraient ; et 11 y avait , selon Sirabon « deux ioeMa sur ces hauteurs, l'un consacré au devin Calchas , l'autre àPodalyre, fils d'Esculape. Ceux qui venaient dans le premier con- sulter l'oracle , sacrifiaient un bélier noir et s'endormaient sur sa peau. La divinité leur apparaissait pendant leur sommeil. Près de l'autre coulait une pure fontaine , dont Teau limpide guérissait les troupeaux.

La légende chrétienne signale les mêmes miracles , les mêmes visions 9 la même fontaine bienfaisante.

En substituant le génie célesle aux deux figures mythiques de l'an-

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tiquiié hellénique , dont la seconde symbolisait la puissance curati?e qu'elle tenait de son père Esculape , le dieu aux formas de serpent » le christianisme laissait donc au peuple » dans sa nouvelle foi, toutes les espérances, toutes les consolations que » depuis un temps immémorial, il était habitué à chercher sur ces hauteurs.

C'était une politique adroite que l'Eglise mettait partout eu pratique, afin de ne point froisser les habitudes des populations. Saint-Augustin Tapprouve, quand dans sa lettre quarante-sept, adressée à Publicola, il lui écrit : c On ne détruit pas les temples ; on ne brise pas les idoles ; c on ne coupe pas les bois sacrés ; on fait mieux : ou les bénit , et on I les consacre à Jésus-Christ. >

Saint-Grégoire-le-Grand exprime la même pensée et prescrit les mêmes règles dans une lettre écrite aux missionnaires des Avglo* Saxons, c II faut se garder , dit le pontife , de démolir les temples t des idoles ; il faut se borner à en détruire les images , puis faire de ' c l'eau bénite , en asperger ces édifices , y ériger des autels et y placer < des reliques. Si ces temples sont bien construits , il est bon et utile c qu'ils passent du service des démons à celui du vrai Dieu. Car« aussi t longtemps que le peuple verra ses anciens lieux saiau conservéa, il c s'y rendra plus facilement par habitude , pour y adorer le vrai IMei^. >

Aussi, d'après ce principe, vit-on de toute part , dans l'anUqpîté , non seulement en Italie et dans la ville éternelle , mais encore dans celle du Bosphore , dans la Gauîe , dans la Bretagne ,^ dans toutes les provinces romaines , les temples , les dieux du paganisme avaient trôné , convertis en églises chrétiennes , et autant que possible le sym- bolisme de l'ancien culte conservé aux mêmes lieux sous une forme

Lorsqu'au huitième »ècle les incursions des Sarrasins et les trem- blements de terre eurent fait tomber les murs de Siponte , ce fut au- tour de la chapelle miraculeuse de Saint-Michel que les nouvelles demeures des habitants se relevèrent.

Une autre légende du martyrologe nous porte près de Constantî- nople.

l'image de Saint-Michel avait été substituée à celle de Vesta.

Le feu Eiher , principe de l'âme du monde , le sptritus orbis , que symbolisait cette déesse , dont le culte , chez les Scythes , passa plus tard à Rome et dans tout l'Occident , n'était que le principe divin, spiritualisé sous une autre forme par le christianisme , et auquel le

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chevalier céleste fut associé avec d'autant plus de raison que les âmes des hommes , dont il était , comme Mercure , le conducteur, devaient, après ayoir été pesées par lui , remonter vers cette source divine.

On venait de loin et de près dans cette chapelle implorer le secours du saint archange , qui , comme l'indique la tradition religieuse , s'offrait aussi aux regards de ceux qui avaient foi en lui , et leur donnait des remèdes et des consolations.

Il advint un jour , dit la légende, qu'un homme, nommé Aquilinus, tourmenté depuis longtemps par une fièvre ardente contre laquelle échouait tout l'art des médecins , conçut l'espoir que , s'il pouvait aller dans la chapelle de Saint-Michel et y implorer le saint archange, il obtiendrait sa guérison. Et , en effet , s'y étant fait transporter , et ayant avec la plus grande ferveur appelé le céleste esprit , il vit tout-à-coup une lueur brillante se répandre sous la voûte de la cha- pelle , et devant lui apparaître l'archange qui , touché de sa foi , lui prescrivit un remède, c Prends , lui dit le céleste chevalier , une c quantité de vin , de miel et de poivre ; dans ce mélange trempe ( tout ce que tu mangeras , et tu seras guéri, i Et l'homme se jetant le front contre terre resta longtemps prosterné ; et lorsqu'il se releva la lumière et l'ange avaient disparu.

C'est cette apparition miraculeuse de l'archange que l'Eglise grecque commémore , chaque année , le 8 Juin ou le YI des Ides de ce mois , époque commençaient, en effet, dans l'antiquité païenne, les Fe<- talm qui duraient le V et le IV. Le III avaient lieu les MairaUa. C'était Constantin , sous qui fut rédigé le calendrier que nous consultons , (i) qui, selon la tradition , dédia l'église à l'archange en faveur de cette apparition. Puisque Saint-Michel remplaçait Yesta , il fallait bien que la fête de Yesta fAt désormais consacrée à Saint-Michel.

Une autre fête commémorative du céleste chevalier est placée par l'Eglise grecque au 6 septembre afin de perpétuer le souvenir de son apparition dans la ville de Colosses, (^) en Pbrygie.

On célébrait aussi à Alexandrie , en Egypte , une apparition de Saint-Michel , le 8 novembre , (^) apparition qui , selon Eutychius , (^}

(«) Pétau , UranoL , tome m , page 112.

(•) Voy. le M^9tu^9.

(') Voy. le Ménologe de SniLET.

(*) Annal. , page 435.

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avait provoqué de la part du patriarche Saint-Âlexandre la dédicace d'une église à Tarchange , sur l'emplacement même la reine Cleo- pâtre adorait l'idole Michaël. Si jamais cette idole a effectivement existé y ce ne pouvait être que l'idole céleste de la planète Mercure , à laquelle, en effet , comme nous l'avons vu, Michaël présidait. Tille- mont , dans sa dissertation sur Saint-Âlexandre , (^) et Renaudot , dans ses Patriarches d'Alexandrie , (^) se sont toutefois efforcé de prouver combien cette assertion d*£utychius est fabuleuse. Ce que nous con- cluerons du passage de l'annaliste alexandrin, c'est que la figure sym- bolique de Saint-Michel remplaça aussi sur le Nil une figure mythique de l'ancien culte , à laquelle ses attributs avaient rapport.

Les traditions du moyen-âge ne sont pas moins nombreuses.

Il n'y eut guère de provinces, à cette époque, le nom de Saint- Michel ne fut vénéré , et quelque ville ne se m!t sous sa protec- tion. Bruxelles le regardait comme son paUadium , et l'on voit encore sa statue restaurée , qui sert de girouette au sommet de la tour élancée de l'hôtel-de- ville , briller éiincelante aux rayons du soleil. Cette colossale statue , posée sur uu globe en cuivre doré qui tourne au moindre vent , représente le saint patron , armé de toutes pièces, foulant à ses pieds le dragon , se défendant de ses atteintes par son bouclier , et le menaçant de son glaive. Cependant , dans les plus anciens sceaux de la ville, Saint-Michel est représenté couvert de longs vêtements , et les mains jointes sur la poitrine, (^j vêtements qui dra- paient aussi une statue de temps postérieurs qu'on voyait autrefois dans l'hôtel-de- ville , et le chevalier , au lieu de l'épée, tenait une croix dont la partie inférieure s'allongeait en forme de lance.

Cette dernière représentation est celle qui se reproduit le plus souvent dans les sceaux de la fin du treizième siècle et du commen- cement du quatorzième , représentation qu'on retrouve aussi sur les diptiques byzantins de cette époque qui contiennent , mais très-rare- ment, le céleste chevalier. Quelque fois même , comme sur un sceau de Rulingen , cette figure drapée tient à la fois la lance qu'elle enfonce dans la gueule du dragon , et la balance avec laquelle elle pèse les âmes. Sur un des sceaux des frères mineurs de Strasbourg , qui , à en juger par le style des figures , et plus encore par le caractère des

(•) Art. 2. (•) Page 80.

(') Voy. Alexandre Henné et Alphonse Wauters , Histoire de la ville de Bruxelles^ tome u , [>ages 563-564.

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lettres de rinacription , est de la fin du traizièiae siècle » la croix sainte surmonte la lance avec laquelle le dragon est terrassé. Le cbe- valler , armé de pied en cap , est plus particulièrement aflSecté aux sceaux et aux monuments de temps postérieurs , cette figure sym- bolisait alors le vice que tout vrai chevalier doit combattre. Sur le médaillon de Tordre célèbre qui porta son nom et qui fut fondé par Louis XI, en 1469 , il était destiné à rappeler la vigoureuse défense qu'une poignée de Français isolés sur le Mont-Saint-Micbel , firent de cette place contre les Anglais , en 1433.

Ce fort » on le sait , situé au fond des vastes grèves qui s'étendent devant Âvrancbes sur les côtes de Normandie , a pour base un im- mense roc granitique. Au-dessus s'élance tout ce développement d'é- difices , de murailles , de tours élevées , de modestes maisons t Qt io cbâteau-fort proprement dit, le monastère gothique » le docbiir et toutes ces constructions échafiaudées les unes sur les autres qui du niveau de la plage atteignent jusqu'à quatre cent pieds de hauteur.

Dans l'antiquité »> le druidiame avait établi ses mystères. Bélénus avait eu des adorateurs « Bélénus » la dieu SoleQ des Gaulois, le même que l'Hercule des Indiens et le Jupiter des Perses , en Tbon- neur duquel on nourrissait à Babylone le dragon sacré. Lorsque Rome, sous Tibère , ravit leur liberté aux habitants de ces plages . le culte du Jupiter romain fut substitué à celui du dieu gaulois. Mais l'autel qui lui fut consacré fut Uii-méme renversé , quand , après t'édit que Constantin donna , en 313 , pour la liberté de conscience , le christia- nisme fit crouler le temple et fuir les prêtres du sanctuaire* Alors, même Bélénus et Jupiter avaient trôné s'éleva une chapelle dédiée à l'archange des chrétiens ; tout autour vinrent se grouper les de- meures de quelques solitaires qui , mus par l'esprit du siède , s'y vouèrent à la vie contemplative. Ces cellules , à leur tour, firem place à un couvent quand au huitième siècle Saint-Aubert , évêque d'Avran- ches , auquel l'archange apparut , (i) reçut de lui Tordre de l'élever. Les constructions commencèrent en 708 , motivées par cette miracu- leuse apparition , et reçurent dans leur sein une communauté de cha- noines. Cependant , sous Richard , dit Le Vieil, duc de Normandie , des Bénédictins vinrent remplacer ces religieux ; et pour eux fut bâtie la riche abbaye qui , commencée par son fondateur en 966 , ne ftit

(*) Le 16 octobre. Voy. les Âeta saneiorum , tome viii.

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QUELQUES IfOTES SUR LES LÉGENDES DE SAINT-MICHEL. 35

achevée qa'en 4026, sous le fils de ce prince , Richard n » surnommé SanS'Peur.

Plus tard un fort fut substitué au couvent dont les bâtiments et régllse restèrent cependant intacts , lorsque la Normandie fut devenue une pomme de discorde entre les deux couronnes d'Angleterre et de France. Ses murs passaient pour imprenables. Et, en effet , lorsqu*en I4S5 , les Anglais , au nombre de quinze mille hommes , tentèrent de s'en emparer , et que , repoussés , après huit jours de siège, par la faible garnison française , ils se virent contraints de regagner avec leurs vaisseaux les côtes d'Angleterre , on regarda celte héroïque défense comme tellement miraculeuse qu'on en attribua le succès au saint archange.

Le tyrannique et dévot Louis xi partagea cette superstition , et ayant fait un pèlerinage au Mont-Saint-Micbel , institua, comme nous l'avons vu , à son retour à Amboise , Tordre militaire qui porta le nom du céleste chevalier , et dont la devise , Immemi tremor Oceani , sym- bolisait la terreur que l'archange avait inspirée à la puissance maritime.

Cependant on grava sur un vaste écusson les noms et les armoiries de ceux qui avaient si vaillamment défendu ce roc , et on le scella , vis-à-vis de l'autel , dans le mur de la chapelle du Sauveur, se voyaient aussi un magnifique tableau qui représentait Saint-Michel , et sa statue recouverte de plaque d'or.

Un autre roc de Saint-Michel , non moins célèbre, s'élève , au-delà éa cMKil , près des côtes de Cornouailles. C'est celui qui supporte le château d'Arthur, cette figure que le ntythe et l'histoire revendiquent, et où, dans les souterrains que renferment ces rocs battus par les flots, la légende place le héros Kimri , immobile au milieu de ses compa- gnons de la table ronde , et dormant , sous la garde de Saint-Michel , jusqu'au jour le royaume en danger aura besoin de leur glaive , et qu'à la voix du soldat de la milice céleste les fanfares des anges les réveilleront.

Milion a plus d'une fois , dans ses vers , fait allusion à cette légende, qui rappelle celle du Kiffhaeuser , l'empereur Frédéric Barberousse, lui aussi , dort d'un sommeil enchanté.

Mais de tous les lieux consacrés à Saint-Michel , un des plus inté- ressants, sous le rapport symbolique, est le rocher basaltique qui s'élève à l'extrémité de la ville du Puy.

Cette ville , sous les Romains , était une des principales cités des

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Arvernes ; Ton prétend même qu'un temple d'Isis anit été Mti sur l'emplacement de la cathédrale.

A côté des lumières qui brûlèrent , dit la tradition , au lit funèbre de la Vierge , et à côté du manteau d' Aaron , renfermé dans une châsse, et que la même tradition dit avoir été transporté de Palestine , se montre la miraculeuse image de la madone , cachée sous sa robe symbolique et pyramidale , mais que son caractère oriental , lorsqu'elle en est dépouillée, a fait regarder comme l'ancienne idole du temple. (^) Quoiqu'il en soit de cette assertion , la figure , par sa pose , par sa raideur , fabriquée qu'elle est d'un bois de cèdre , enveloppé de bandelettes de toile fine « très-soigneusement et très*solidement collées sur le bois , à la manière des momies égyptiennes , indique qu'elle a être apportée de l'Orient.

C'est une des images de la Vierge qui attire le plus de pèlerins.

Sur le roc qui , à l'opposé de la ville , surgit, comme un immense obélisque du sein du faubourg , appelé la ville de CAigmlle^ se trouve l'église de Saint-Michel.

Ce sommet serait inabordable , si l'on n'avait eu soin de tailler dans la montagne des escaliers composés de plus de deux cents cinquante marches , pris dans le rocher même , et auxquels on arrive par une espèce de portique , solidement construit , qui , sans être antique , ne laisse pas que d'être très-ancien. A côté et hors de l'enceinte est un petit bâtiment en rotonde d'une belle conservation, qu'on nomme le temple de Diane, mais qui, plus probablement, n'est lui-même qu'une chapelle construite sur un ancien temple de cette divinité.

C'est ainsi, comme nous l'avons déjà dit, que le christianisme s'honorait de placer la foi sur les débris du paganisme.

Or, pour comprendre pourquoi le symbolisme chrétien a substitué au culte de la déesse olympienne l'invocation du chevalier céleste , il faut se rappeler à la fois les attributs de Tange» et le culte mystérieux de la déesse.

Diane, comme divinité lunaire , parcourait, sous ce nom« la partie la plus élevée des cieux , et sous le nom d'Hécate , et avec d'autres attributs , parcourait la partie inférieure dont le pôle est caché éter- nellement sous l'horizon , et qu'on appelait les eufers. On nommait

(*) Voy. dans Faujas de Saint-Fond , Voleanê éteints du Velay et du Vivarais, la plaache qui la représente.

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même Hécate ces vastes cavités sombres qu'on aperçoit dans la lune, (^) l'on banissait les âmes des méchants et elles subissaient divers tourments. Les rapports que Diane » sous le nom d'Hécate, avait avec les âmes délivrées des corps l'avaient fait comparer avec l'Anubis ou Mercure égyptien , (>) divinité terrestre et céleste chargée de la conduite des âmes et , comme Hécate , représentée sous des formes canines. Diane ou la Lune fut elle-même souvent confondue avec la Vierge qui » dans toutes les fables sacrées sur la nature , prenait une foule de noms différents, et était représentée sous les formes les plus variées.

Or, lorsque les âmes descendaient par la Balance , au moment le Soleil occupait ce point , c'était la Vierge qui ouvrait les portes du jour. Au retour du Soleil à l'équinoie du printemps , au moment les âmes se régénéraient , c'était encore la Vierge céleste qui ouvrait la marche de la nuit. Avant d'arriver aux portes de l'enfer, les âmes étaient conduites par elle. C'était en sortant de traverser ces signes qu'elle franchissait le Styx , au huitième degré de la Balance. Toutes ces images formaient la doctrine mystérieuse du culte de la déesse olympienne , et auquel Mercure était lui-même associé. Car on sait que Mercure était le compagnon inséparable de l'Isis égyptienne ou de la Vierge céleste dans le signe de laquelle il avait son domicile et son exaltation. Nous avons vu les rapports que l'archange Michel , dans la cosmogonie chaldéenne, copiée par la cabale hébraïque, avait avec ce dieu. 11 présidait à la même planète. Rien donc de plus naturel qu'en venant prêcher aux populations le dogme spirituel d'un seul Dieu , réglant toute la nature , le christianisme , pour ne point froisser trop vivement leurs habitudes, leur ait cependant présenté comme un intermédiaire entre cette puissance divine et elles , le génie qui , la balance à la main ^ avait aussi , dans le nouveau culte , la mission de peser les âmes et de les conduire à leur dernière demeure. Le rappro- chement était d'autant plus politique que dans la même ville et pour nne cause semblable on substituait à la Vierge céleste la Vierge des chrétiens , et que , conformément à l'opinion émise par Saint- Augustin, et que J'ai citée ci-dessus, loin de détruire son temple , on le consa- crait en le bénissant.

(«) Plotarque , de Faeie in orbe Luna , page 944. (')Idem, debidê.

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Nous avons un autre exemple de la substitution du saint archange à la statue de la déesse olympienne dans l'ancienne Gaule germanique qui fait aujourd'hui partie du Wurtemberg;

C'est en Allemagne surtout , et principalement en Franconie » en Souabe , dans la Bavière , c'est*à-dire dans les pays les Romains » et les Gaulois qu'ils y appelèrent comme colons » ont laissé le pins de traces de leur séjour, que le nom de Saint-Michel est le plus fréquem- ment attaché à quelque commune, et que l'on trouve aussi le plus de chapelles isolées placées sur les ruines d'anciens sacella romains.

Le Michelsberg ou Mont-Saint-Micbel , près de Bœnnigheim » célèbre par la légende qui s'y rattache, et qui nous reporte aux premiers temps de la prédiction du christianisme dans ces contrées , est situé à l'extrémité du Stromberg , petite chaîne de collines qui s'étend à travers le Zabergau. Ce mont supporte un ancien petit "couvent de capucins dont la chapelle qui formait le chœur de l'église, et qui est d'une époque très-reculée, repose sur un ancien temple de Diane. L'on voit encore à la voûte et aux murs extérieurs de l'Est et de l'Ouest de la chapelle quelques restes de figures qui datent du paganisme.

Or , dit la légende , au temps Boniface , cet apôtre de la Ger- manie , vint prêcher en ces lieux la doctrine du Christ , il fût entravé dans sa mission par le diable. Boniface , pour lui résister , appela h son secours le chevalier céleste ; et il s'engagea entre l'archange et le diable un combat qui , cependant , finit par la victoire du premier. Saint-Michel enchaîna Satan qu'il alla plonger dans les abtmes d'isA il était sorti. Mais dans la lutte le liiable avait arraché à l'archange une plume de ses ailes , toute brillante de rubis et d'éméraudes. Boniface la ramassa, et après avoir achevé la conversion des habitants, la plaça dans une châsse au-dessus de l'autel qu'il éleva au Christ dans l'ancien temple. Une médaille d'argent , très-rare aujourd'hui , rap- pelle cette miraculeuse consécration. La plume resta oflértei la prêté des fidèles , jusqu'à l'époque de la réforme de Luther , le deltre et l'église furent pillés , et disparut cette sainte reKque , qui , malgré toutes les recherches n'a plus jamais été retrouvée. C'était elle cependant qui avait fait la réputation de ce pèlerinage l'on venait de loin et de près ; douce consolation que notre sîèele sceptique a peut-être trop condamnée, si l'on songe au bonheur que donne une foi naïve , et aux consolations religieuses qui sont pour le peuple les plus doux remèdes de l'âme.

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QUELQUES NOTES SUR LES LÉGENDES DE SAINT-MICHEL. 37

A hait lieoes plas au Nord, sur les hauteurs qui bordent le Necker» près de Gundelsheim , on voit encore une autre cbapelle de Saint- Michel, bâtie sur. les ruines d'un petit temple dont l'autel, dédié à Jupiter et à Juuon , nous a été conservé, (i)

Là, le dieu suprême qui , dans le culte grec et romain , avait four droyé Typhon aui pieds de serpent , fut, remplacé par le génie qui , dans Fantique tradition hébraïque , avait prêté son secours à Dieu contre Satan.

C'était toujours , comme on le voit , la substitution d'un symbole religieux à un autre symbole qui y avait rapport.

Le moyen-âge a aussi laissé une de ses douces légendes.

Aux temps lointains , dit-elle , les bois recouvraient encore toute la conirée , s'élevait sous leur dôme de verdure la demeure Fried- hilde , cette jeune viei^e aux blondes tresses et au regard velouté, avait appris , sur les genoux de sa mère , à prier Dieu et le Christ. Souvent venait s'arrêter , sous le toit. hospitalier .qu'elle habitait, un jeune et vigoureux chasseur , du nom de Grîsson , quand , après une journée de chasse pénible et sa meute harassée il sentait avant de r^agner ses tours , le besoin de se reposer.

Ce besoin, aux derniers temps, n'était cependant plus qu'un prétexte. Ce qui l'attirait en réalité, c'était l'angélique regard de la jeune fille, dont le doux souvenir le poursuivait en tout lieu. Aussi ses visites de- vinrent-elles de jour en jour plus fi^équentes ; et les deux jeunes gens, après l'aveu d'un amour réciproque , n'eurent-ils d'autre désir que celui d'une union étemelle. Le vieux Siegfried , père de Friedhilde , donnii son consentement ; et pour preuve de sa foi , Grisson

(*) I. G. M. ET IVNO' NI REGI NAE. G. FAB IVS. GERMA NUS. BF CCS PRO SE ET SVIS YSLLM. £w< opHmo maaoimo et Jmwni regina^ Caitu FaHuê Germamut hêmfakariui tmmUaHê , pro #• << jwi» wlum iohnt hâbem UbmUiuimê mniio.

Voyei non Mémoire twt (m établi$$imêniê romaku du MMm «f du Datuibe , toM ^, page 205.

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S8 ItEVUE D*ALSAGB.

prenant un anneau , symbole d'alliance , le passa au doigt de sa fiancée.

c Prends celte bague , dit-il , 6 ma bien-aimée ; c'est celle que portait c ma jeune sœur , avant que , se rendant dans la forêt sacrée d'Hertha, I elle voulut être sacrifiée dans le lac à la déesse, b

 ces paroles qui annonçaient dans son amant un serviteur des faux dieux, Friedhilde el son père tressaillirent. « Malheur à moi! s*écria- c t-elle f malheur à toi I ô mon bien*aimé » car cet aveu nous sépare t pour toujours. >

Et , en efiet , malgré ses prières » n'ayant pu vaincre l'obstiDation de son amant » n'ayant pu l'amener à abjurer son culte , elle avait refusé de le revoir ; et lui-même avait fini par ne plus reparaître.

Friedhilde, dans son désespoir, quitta le toit paternel, et s'élevant sur la cime des monts, aux lieux les plus solitaires de la forêt , elle y fixa sa demeure , habitant , l'été , sous le dôme des chênes sécu- laires , pendant l'hiver , dans les cavernes mousseuses. Les baies sauvages formaient sa nourriture; les animaux des bois s'approchaient d'elle sans crainte ; et partout les oiseaux accompagnaient de leurs chants le doux murmure de ses prières.

Ainsi elle vécut plusieurs années , jusqu'à ce que , brisée par la doulenr, son âme enfin s'exhala vers Dieu, avec le dernier soupir à son amant. Les animaux qui avaient formé son cortège , les cerfs et tes élans soulevèrent un peu de terre sur son corps; les oiseaux y appor- tèrent des fleurs ; et sur la ctme du mausolée qu'ils lui élevèrent un ange plaça son nom en lettres de feu.

Or, il advint qu'après de longues années, Grisson qui lui-même n'avait jamais eu de repos , vint en ces lieux à la poursuite d'un cerf. L'animal s'arrêta sur le tertre. Grisson , qui déjà voulait le percer de son épieu , remarqua la flamboyante inscription. En lisant le nom de Friedhilde, il laissa tomber le javelot. 11 devina le mystère ; et la face appuyée sur ce tertre fleuri qui contenait tout ce qu'il avait aimé , il jura de se vouer désormais au vrai Dieu.

Et , en efiet , dès le lendemain , il quitta les hautes tours de son châiel , et après être allé à Worms recevoir de l'évêque l'eau sainte du baptrme , il remonta vers le tertre sacré. , il bâtit un ermitage , bientôt , de loin et de près , la réputation de sainteté <le l'ana- chorète appela les pèlerins. Chacun venait le consulter; chacun venait chercher près de lui des remèdes et des consolations. Ainsi il vécut

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OUELQUBS NOTES SUR LES LÉGENDES DE SAINT-BUCHEL. 39

plus d*un demi-siècle remplaçant lui-même par ane autre fleur la fleur fanée du tertre et priant Dieu de le réunir un jour à celle qui y reposait.

Dieu entendit sa prière.

Pendant une nuit sombre , et tandis que Touragan courbait la cime des foréis , Termite entendit frapper à sa porte ; et l'ayant ouverte , il vit entrer un étranger , recouvert d'une longue robe blanche et au regard étincelant. Le vieillard alluma du feu , et après avoir servi une collation à son hôte et lui avoir offert un lit pour se reposer, il allait de nouveatf regagner l'escabeau sur lequel il était agenouillé au moment de rentrée du voyageur » quand ce dernier , l'arrêtant , le prit doucement par la main, et plaçant sa bouche sur son front chauve , y appliqua un baiser. Aussitôt le bruissement de la forêt fit place à la plus douce harmonie ; le chœur des anges se fit entendre ; et au milieu de ces chants le dernier souffle du vieillard s'échappa.

Saint-Michel venait de recevoir son âme.

Et , lorsque , le lendemain , les pèlerins trouvèrent le corps » ils l'ensevelirent à côté de celui de Friedhilde ; et , pour conserver le souvenir de la miraculeuse vision , on éleva par la suite la chapelle dédiée au saint archange.

Je ne poursuivrai point ces citations de légendes , qui toutes, d'ail- leurs , ont une certaine analogie , dan^ quelque lieu qu'on les ren- contre , et qui toutes ont toujours pour motif un sentiment d'amour ou une apparition. Le moyen-âge éleva un grand nombre d'églises et de chapelles qu'il dédia à Saint-Michel , surtout pendant le douzième, le trei^ème et le quatorzième siècle. Celles de ces églises qui , pour nous , offrent le plus d'intérêt comme monuments symboliques , sont celles qui , placées dans les cimetières^ rappellent les autels qu'aux temps antiques on élevait aux dieux infernaux dans tous les lieux destinés aux funérailles , ou qu'on érigeait à Mercure qui , avec Pro- serpine, était chargé d'attacher et de détacher les âmes, (t) et, après la mort les admettait ou les rejetait selon qu'elles étaient plus ou moins pures. Une des plus intéressantes de ces chapelles , encore debout , est celle qui , sur un cône élevé , entre Tubingue et Rotten- bourg , rappelle , par sa légende , le combat que l'archange eut avec le diable pour une âme que le malin esprit lui disputait, comme dans ' ■■'■■■■ i » I I ,

(*) Plutarque , De FacU m or6e Lma , page 943.

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40 REVU£ D'ALSACE.

TaDiiquité hébraïque ils combatuirent dans le désert pour le corps de Moïse. (1) La tradition s'accorde , en celte occasion » avec le mythe symbolisé dans la pierre au.treizième siècle sur le tympan du portail de Notre-Dame- de-la-Couture au Mans où» au bas de la figure du Christ, assis sur son trône, les deux mains élevées et préparé à con- damner et ù absoudre , est placé l'archange Saint-Michel » tenant la balance » à l'un des plateaux de laquelle le diable s'accroche envain pour faire pencher les âmes de son côté. A droite sont les élus qui viennent d'être jugés ; à gauche les réprouvés que le désespoir allcinL

Strasbourg possédait aussi une chapelle mortuaire dédié à Saint- Michel , du côté Nord de la cathédrale que longeait autrefois un cime- tière. L'archange veillait aussi sur les âmes , comme il y veillait dans cette autre chapelle placée près de l'ancien couvent des Âugus^ tins Jaquelle après avoir existé un millier d'années» fut enfin démolie en 1764. Elle avait été placée sur le lieu même » aux temps reculés» s'élevait le gibet. Le symbolisme chrétien rattachait à ces murs une idée de consolation» et l'on racontait (car une pieuse légende se trouve toujours aux lieux le peuple vient prier) qu'à l'époque Saint-Arbogaste tenait les rênes de l'évêché de Strasbourg» une pauvre veuve éiait venu implorer ses prières , en faveur de son fils qu'on avait exécuté quoiqu'innocent » et qu'on avait enterré sous la potence. Saint-Arbogaste » pour la consoler » avait » lui aussi » voulu que son corps fût » après sa mort » déposé à côté de lui » puisque Jésus-Christ lui-même avait » hors de Jérusalem » trouvé la mort sur le champ des supplices. Sa volonté avait été faite » et sur sa tombe avait » en 668 » été élevée cette chapelle qui depuis avait fait donner au monticule O elle était posée le nom de MichekbûhL ())

Dans d'autres localités » à défaut de chapelles » c'est sur la croix même des cimetières que Sain t-iMichel est représenté comme l'ange de la mort. Un des plus curieux de ces monuments est la belle croix de Saint-Germaiii-la-Rivière» dans le département de la Gironde» pays ce genre d'ornementations est très-répandu , et l'on en trouve en grand nombre qui datent principalement de la période du gothique fleuri et piême de la renaissance.

(*) Saint-Jude , Epiit, 9.

(') Le HenkersbUhL

('} Voy. SPECKLm , ColUctanea. {Manuscrit de la bibliotbèqae da Strasbourg.)

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QUELQUES NOTES SUR LES LÉGENDES DE SAINT-MICHEL. 41

Plus d'une conj^gation se mit aussi sous rinvocaiion du saint archange , et eut pour point de réunion une chapelle qui portait son nom. Nous citerons , entre autres » la confrérie des Escrimeurs de Saint-Michel à Gand » et la congrégation qui» dans les Vosges , s'était mise sous le patronage des évéques de Metz et de Strasbourg et comptait dans ses rangs une grande partie de la noblesse d'Alsace.

La première Tait remonter son origine vers le milieu du onzième siècle t quoique , comme l'ont prouvé MM. Félix Devigne et Edmond de Busscher, (^) son acte constitutif ne date que de 1611. Dans le rétable de l'autel l'archange est honoré » se voit un précieux tableau de Nicolas Ltemœcker, dit Bùo$e , représentant les anges rebelles , terrassés par le céleste chevalier. C'est une des compositions les plus remarquables du maître.

La congrégation alsacienne se réunissait » pendant son existence , sur le versant des Vosges dans la chapelle si pittoresquement située au-dessus de Saint-Jean-des-Choux , près de Saverne.

Chaque année, au jour consacré au saint patron, tous les membres agrégés se rendaient dans cette chapelle , et après les prières à Dieu et à l'archange , terminaient , par de grandes fêtes , leur union fra- ternelle. Du point culminant, le petit édiflce est posé, se découvre à vos regards le plus immense paysage. Toute la plaine d'Alsace, tout le cours du Rhin , et au-delù de ce fleuve , toute l'étendue du pays jusqu'à la Forét-Noire dont la vaste chaîne se déploie en entier devant vous , se montrent sous vos pieds.

A l'extrémité de la montagne est un grand rond, taillé dans le roc, et l'antiquité païenne , à l'époque qui précéda le vol de l'aigle ro- maine dans ces contrées , avait sans doute établi les mystères de son culte. Au-dessous se voit une grotte de quinze mètres de profondeur qu'habitait au moyen-âge un cénobite , dont on montre encore la couche creusée dans la pierre. Le peuple fait de ce lieu le séjour des sorcières , qui , de , envoyaient sur les campagnes la grêle et les maladies , et que Saint-Michel tient maintenant bannies dans la téné- breuse caverne.

Celte croyance au pouvoir de l'archange sur les démons est répan- due chez toutes les nations chrétiennes. On la trouve consignée dans les légendes de tous les pays jusqu'aux climats les plus septentrio-

(') AUtum du eortège hUtorique dês eomteê de Flandre,

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4S REVUE B*ALSACE.

naux. Plus d'une tradition de Russie , de Pologne et de Lithaanie , contrées la vénération pour Saint -Michel est si grande, rappelle cette puissance surnaturelle.

C'est ce pouvoir que TEglise veut elle-même représenter dans tontes ces figures , comme guerrier céleste , Saint-Michel combat et en- chaîne le dragon. C'est le même dragon roux ou génie du mal , le diable , en un mol , que l'auteur de l'Apocalypse (i) fait vaincre par l'archange et ses compagnons , victoire qui , chez les Egyptiens , est représentée par Orus et ses satellites , enchaînant Typhon qui , lui aussi » se distingue par ses cheveux roux, et par ses pieds et ses mains monstrueuses. (^) C'est cette victoire de l'archange qui , ' chez les mythologues chrétiens, lui a toujours fait donner le nom de vainqueur^ comme Hercule» chez les Grecs, le portait dans l'antiquité. Dans une église de Palerme , les noms des sept grands anges sont écrits avec les épithètes qui les caractérisent , et Raphaël , l'ange du Soleil , y a le titre de médecin , que portait Esculape ou le dieu Soleil , aux formes de serpent , c'est sous le nom de Vainqueur que Michel appa- raît. C'^st vers le quinzième siècle surtout qu'à la robe flottante qui recouvre le corps du saint dans les images ou bas-reliefs d'une époque antérieure, succédèrent la cotte de mailles et le casque. C'était* sous ce dernier costume qu'il figurait comme symbole militaire , de même que Saint-Georges , auquel , dans toutes les cérémonies de la chevalerie , à la réception ou au dégradement d'un chevalier , il était associé. C'était Saint-Michel qui surmontait l'étendard impérial, avant que son dragon restât seul au-dessous de l'aigle qui remplaça alors le céleste chevalier. C'est du moins de cette dernière manière qu'était surmonté le Gundfanon que l'empereur Olon iv conduisait contre Philippe-Auguste à la bataille de Bouvines , en 4214. On jurait par Saint-Georges et par Saint- Michel ; on les invoquait , avant de com- battre; on les remerciait après la victoire ; on dormait sous leur tutelle dans les tentes guerrières; on n'était digne chevalier qu'autant qu'on leur ressemblait.

Aussi les amulettes , à l'image de Saint-Michel , eurent-elles une renommée non moins grande que celles du chevalier cappadocien. (^)

('] Plutarque , de bid. , pp. 35d^2.

(') Voyez mes Notu sur les légendêt de Saint^Georgee. Messag. Oes sdenc. Hist. de Belgique , année 1849 , page 314.

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QUELQUES NOTES SUR LES LÉGENDES DE SAINT-MICHEL. 4?

On les portait comme un préservatif dans le danger; le peuple s'en munissait pour écarter le malin esprit. L'élégant médaillon de l'ordre fondé par Louis xi n'était lui-même qu'une représentation de l'amu- lette, con^me le collier à coquilles d'or, lassées l'une à l'autre, qui le soutenait , représentait le collier des pèlerins.

C'était, en effet , sous la protection de Saint-Michel que les pèleri- nages se faisaient. On voyait autrefois au-dessus d'Ulm, sur le Michels- berg, une église fondée en ii85 par Miligon , comte d'Albeck, et par son épouse Bertha» adossée à un couvent d'Augustins les fonda- teurs avaient voulu que la misère des pauvres fut soulagée , et qu'en touê temps le$ pèlerins et ks frères séculiers trouvassent un sûr asile et des tafratchissements. Les murs de l'église furent démolis en 18S8 et ceux de la tour en i654.

On ne s'élève point au-dessus de soi sans le secours de Dieu et des bons génies , a dit Pytbagore ; il faut les prier , il faut les invoquer , surtout son génie lulélaire. C'est ce qu'on faisait partout pour Saint- Michel , dans les provinces , dans les villes , dans les congrégations , dans les familles qui s'étaient placées sous la tutelle der l'archange. Le christianisme , on le voit , ne suivait que sous une autre forme . symbolique , au moyen-âge , comme il le suit encore aujourd'hui , le dogme que le philosophe grec prêchait , dans l'antiquité païenne , à ses concitoyens.

Max. db Ring.

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EXPLICATION ÉTYMOLOGIQUE

DES MOTS

RUTTELRAUSGRABEN ET PAPHINISNAÏDA.

Daii8 un article que la Bévue d'AUace a reproduit page 572 de Tannée 4853 f H. le chanoine Mercklen parle d'un fossé dit Kuuelrausgraben situé à Landser et en explique le nom c Fosgé-aux-tripes > par une légende d'après laquelle les Suédois auraient éveatré » dans cet endroit, 900 paysans faits prisonniers à Blotzheim. Les apparences sont favo- rables & cette interprétation , car Kutiel signifie tripes ou boyaux , rau9 pour heraus signifie dehors et graben signifie fossé , comme qui dirait : fossé l'on a tiré les boyaux dehors.

Hais je ne puis partager cette manière de Toir. Outre que le nom de Kutielratugraben est probablement antérieur à la guerre des Suédois» comme le sont généralement les noms de lieux , il est de fait que , •pris dans cette acception , il n'est pas construit d'après le génie de la langue allemande pariée dans le pays.

Graben signifie bien fossé , mais raus n'est pas pour heraus de- hors. Bauê au contraire est un mot celtique qui signifie ruisseau , qui constitue la racine même de ruisseau et qui est parent avec le grec fiês cours d'eau. Beaucoup de rivières tirent leur nom de cette racine ; c'est ainsi que dans les pays allemands , nous avons la Beuss qui se jette dans le lac des quatre cantons , la Bauss qui se jette dans la Birse, près de Houtiers; qu'en Alsace nous avons à Jettingenun canton appelé Buesbrunnen et à Leymen un canton appelé im Bauss ; et que dans les pays français nous avons ces rousses , rux , ruu , rut ,

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EZPLICAT10M8 tTTHOLOGtOlIlSS , ETC. 4S

nipf , m , qai sous toutes les formes décorent les noms de nos rais- seaux , comme Fenarupt , Fertru , etc. Que voudrait dire Rueibrutmen fontaine de suie , si Ton prenait rues dails son acception usuelle de suie ? Rapprochez rua de dans ruisseau et notre nom devient intelligible. La forme aspirée de Creuse, Crosta, nom d'une rivière en France , se rapproche du grec fM et expliquerait le h de hrans pour ratif , dans Kutielrausgraben , si Jamais cette lettre s*y était trouvée*

Rttuss signifiant ainsi ruisseau » Rausgraben signifie fossé-ruisseau , avec une réduplication de sens. Cette marche s*observe souvent » lors- que les mots d'origine celtique sur le point de perdre leur signification dans la langue parlée pendant une époque de transition , les Germains, successeurs des Celtes» y ont ajouté le mot de leur idiome qui exprime la chose. II est aussi arrivé que les Germains ont traduit dans leur langue les noms de lieux de leurs prédécesseurs. Je pourrais citer nombre d'exemples à l'appui de cette double assertion. Je me con- tenterai d'un seul.

Le mot celtique aghallt , composé de a^fc-cerf et de oiA-rivière « ainsi : rivière aux cerfs a été traduit littéralement par Hirtzbach, d'une part et a été redoublé partiellement par le mot allemand bâchk dimi* nutif de bach , d'autre part. Prenez une carte du Haut-Rhin deM">* veuve Levrault , cherchez-y Illzach et Lutterbach et vous verrez une rivière ou un ruisseau qui dans la première de ces deux communes s'appelle Hagelbâchle et qui dans la deuxième s'appelle Hirtzbaeh. Hagell cor- rompu de aghallt, est en celtique la même chose que Hhntbach en allemand , c'est-à-dire rivrère-aux-cerfs , et cependant il y a ajouté la terminaison bâchle , qui signifie encore une fois rivière. Ainsi dans un endroit il y a eu simple traduction et dans un autre il y a eu rédupli- cation. Cette rédupKctition se présente sous une forme encore plus rapprochée de celle de Rausgraben à Mittelwihr , il y a un canton appelé Hagelgraben (fossé-rivière aux cerfs) , et à Rouffach , il y a un canton appelé Nagelgraben y avec addition de l'article an ou par abréviation 'n : an aghalli ou 'n aghalli comme dans le nom de rivière NagoU de l'autre côté du Rhin.

Quant au mot Kuuel , j'avoue que je ne lui connais pas d'autre signi- fication que celle de tripes ou de boyaux , mais je dois dire qu'il se retrouve dans d'autres localités , à Storckensohn , par exemple , y a une Kuuelmati. Il est à supposer que l'origine s'en apporte à quel- qu'événement gastronomique, s'il n'est pas plus raisonnable d'admettre

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.46 RBVUE D'ALSACE.

que, dans la suile des temps « il a perda sa valeur primitive. Uq canton d'Obersteinbrunn s'appelle Pfluuenberg et présente une analofifie signi- ficative. Du reste le peuple a toujours une légende prête pour expli- quer ces sortes de noms. Ainsi » à Storckensobn , il dit que dans une disette un homme a donné pour un plat de boyaux ou de tripes (Kutteln) une montagne entière, à laquelle , pour ce fait, le nom de Kuttelmau est resté. Une légende semblable » reproduite par M. Âug. Stœber Sagen des Elsasses , page 24 explique le nom d'un canton appelé Milchsuppenacker (champ de la soupe au lait).

Puisque j'en suis à faire des étymologies , je me permettrai encore de relever une interprétation faite par M. L. Levrault , dans son article sur la vallée de la Brusche , Revue d* Alsace de 1852 , page 369. Il s'agit du nom de Paphlnisnaïda. Quoiqu'en dise M. L. Levrault , ce nom n'est ni plus ni moins que tudesque. Loin de provenir du grec Paphos et nais , qui voudrait dire une naïade de Paphos » il provient de l'an- cien allemand paphin et snatd et s'écrirait aujourd'hui Pfaffenschneite ou Pfafienschnaitze (lieu défriché par des prêtres ou par des moines). Je n'ai pas besoin d'insister sur la première de ces deux racines , car le mot paphin fpfaffenj figure fréquemment dans des noms de lieux , tels que Pfafienheim» Pfafienhoffeo, etc. La seconde » pour être moins répandue en Alsace , n'y est pas inconnue. Un urbaire de 1435 (archives de la préfecture du Haut-Rhin, fonds Marbach) cite un canton : vffdie Sneite , à Epfig. Un renouvellement des revenus de la camérene de Munster , en 1407 (mêmes archives) cite un canton : an Sneyie , à Turckheim. Un registre des biens de Ribeaupierre l de 1441 (mêmes archives) cite un canton : am Ebersndten grote, à Wasserbourg. Elle est encore usitée de nos jours : des Allemands , qui ont immigré au Brésil , appellent leurs établissements Schwabenschnaitze , Sachsen- schna'^tze.

Christophoros.

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GORRESPONDAN€E.

La notice qae nous avons publiée , dans la livraison du mois d'oc- tobre dernier , sur les poésies allemandes de M. Ânguste Lamey , a donné lieu à quelques observations que Timpartialité nous commande d'accueillir.

Il va sans dire qu'entre notre estimable collaborateur, M. L. Levrauit, et notre honorable correspondant , M. A. Lamey» il ne saurait y avoir» quant à la parfaite loyauté des sentiments » la moindre cause de mésintelligence. D'une part la critique a exercé un droit incontesté » et si » dans le cours du récit biographique , il a pu , sur des rensei- gnements incomplets donnés par des contemporains , se glisser quel- ques inexactitudes, M. Lamey» d'une autre part» les rectifie» selon son droit» avec autant de réserve que le critique a apporté de modération dans son examen.

Après cette courte explication qui ne fera point regretter à M. Levrault d'avoir cédé au désir d'un ami commun » nous livrons à nos lecteurs la lettre de M. A. Lamey.

(c Strasbourg, ce 18 novembre 18S5.

c Monsieur» j'ai lu dans la Bévue lïAkace du mois d'octobre la notice de M. L. Levrault » concernant un petit recueil de mes poésies alle- mandes » que j'ai fait imprimer il y a près de deux ans. L'article est d'une bienveillance non équivoque et j'en remercie Tauteur de tout mon cœur. Néanmoins , sans toucher à des inexactitudes sans impor- tance » j'ai intérêt à relever et rectifier quelques assertions qui s'y trouvent. Parlant de mes chants décadaires du temps de la première République» M. Levrault » pour me justifier ou m'excuser de les avoir mis au jour » fait la remarque singulière et qui m'a beaucoup peiné » c qu'étant protestant» je ne pouvais considérer comme un sacrilège l'abolition du culte catholique dans la cathédrale de Strasbourg. »

c Tenons d'abord pour vrai que l'abolition du culte chrétien devait être aussi sensible aux protestants qu'aux catholiques. J'ignore ensuite

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48 BETCE D'ALSACE.

si mes chants des décades ont élé introduits temporairement dans la cathédrale de Strasbourg » ainsi qu'on pourrait l'induire du passage cité. Il est constant que ces chants , composés uniquement sur des airs du vieux livre des cantiques luthérien » ont été accueillis et chantés dans les divers temples du Haut- et du Bas-Rhin en remplacement des anciens cantiques d'église alors défendus. Il m'est permis d'ajouter que les sufifrages du vénérable Pfeffel ne m'ont pas manqué. On n'en conteste pas d'ailleurs le but moral.

c En tout cas t M. Levrault , que je n'ai pas l'honneur de connaître personnellement , parait avoir eu sur moi des renseignements biogra- phiques peu fidèles. Je n'ai jamais été poète des clubs ni membre d'au- cun 9 soit à Strasbourg , soit ailleurs ; je ne me suis jamais vu errant comme exilé dans les montagnes de la Franche-Comté et de la Bour^ gogne; enfin mes illusions et mes découragements politiques n'ont pas autant que semble dire la noticç. influé sur le cours de ma vie, qui a suivi naturellement les chances d'une époque agitée. Quanta ma car- rière de magistrat » que j'ai commencée périlleusement comme juge au tribunal des douanes à Luxébourg , elle m'a fait résider plus tard il est vrai » dans de petites villes de notre Alsace ; j'ai été juge de paix à Munster , juge d'instruction à Altkirch et juge civil à Colmar avant d'arriver à Strasbourg, mais je ne sache pas avoir donné lieu de croire que ces résidences me Aissent devenues désagréables à raison des vulgarités envieuses et tracassières dont l'article suppose que j'aurais lait l'expérience.

c L'honorable mention que H. Levrault a bien voulu faire jde mes faibles vers n'a pu que me flatter , bien que peut-être son attention se soit trop exclusivement arrêtée sur les pièces humoristes et facé- tieuses , qui 9 de même que les traductioiis ou imitations, occupent la moindre place dans mon recueil. Mais la critique est toute libre et n'a pas à rendre compte de ses jugements. Aussi mes observations» en- déhors du point de vue littéraire, portent simplement sur des erreurs de fait. J'ai l'honneur de vous les communiquer , des amis éclairés m'en ayant donné le conseil ; vous voudrez bien en faire l'usage qui vous paraîtra convenir.

< Agréez , Monsieur » l'assurance de ma considération la plus distinguée. A. Lamet. »

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NOTICE

80E U

VIEUX -BRISACH.

Suiu 0-

XV.

La gaerre de trente ans à laquelle nous sommes arrivé , cette guerre si indéterminée dans sa marche et dans son objet , est la dernière des longues luttes que la maison d'Autriche eut à soutenir contre la Ré- forme. Elle se divise naturellement en quatre grandes périodes rélecteur palatin , le Danemark » la Suède et la France jouent succes- sivement le principal rôle. Brisach ne fut point épargnée dans ce vaste bouleversement qui changea la Tace de l'Allemagne ; elle eut à subir les deux sièges de 1655 et de 1658 ; ce dernier même est l'une des opérations militaires les plus mémorables de la dernière période. Cette ville étant restée hors des atteintes de Mansfeld, lorsqu'il rava- gea l'Alsace pendant les années 1621 et 162â , nous n'avons à men- tionner aucun événement antérieur à l'intervention de Gustave-Adolphe dans la lutte.

C'est en 1650 que la Suède» à qui Richelieu avait ménagé une trêve avec la Pologne , vint sauver la ligue protestante ruinée par Wallen- stein. La France conclut avec les Suédois un traité d'alliance qui devait

n Voir les livraisons de mars, page 97 et de Juin et JaiUet 1885| page 266.

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80 REYOB D^ALfiÂCe.

durer cinq ans, en vertu duquel ils étaient tenus de/oumir une armée de trente mille hommes de pied et dix mille chevaux , moyennant un subside annuel de quarante mille écus. (*) Ces conventions furent arrêtées entre le sieur do Charnacé » ambassadeur de France , et les commissaires suédois Hom, maréchal-de-camp, et Banner, général de rinranterie suédoise ; elles furent ensuite ratifiées par les deux rois.

Les progrès rapides de Gustave-Adolphe en Allemagne et la victoire décisive qu'il remporta sur Tilly, à Leipzig, permirent à ses généraux d'arriver jusqu'en Alsace. Montécuculli voulant garder cette province et la conserver à l'empereur» fit camper ses troupes à Tabri des places fortes, et principalement sous le canon de Brisach ; son armée , bien que forte de vingt mille hommes» ne put empêcher le général suédois Horn de pénétrer eu Alsace et de s'emparer de la plupart des villes de ce pays avec une extrême rapidité. Mais Gustave-Adolphe tombe à Lutzen au milieu de ses triomphes , et le lendemain de cette terrible bataille » Bernard , duc de Saxe-Weimar , passe la revue générale de l'armée qui lui prête serment de fidélité. C'était de tous les généraux de la ligue celui qui avait rendu Tes services les plus importants aux Suédois, c II avoit (dit Spanheim) mérité cette élection par sa vigi-

< lance , sa belle conduite et la créance qu'il avoit acquise parmy les c gens de guerre , surtout par la résolution et fermeté indicible , mon-

< trée au besoin au jour de la bataille. 0 >

Avant de rapporter ce qui le concerne, nous avons à parler du rhin- graveOtton-I^uiSy autre général de ligue protestante qui, étant venu en Alsace pendant l'année 1635 » s'empara des châteaux de Saint- Amarln et de Haut-Landsberg , puis vint occuper Marckolsheim dans le but de resserrer Brisach. Il envoya immédiatement un parti de cavalerie qui se mit en embuscade près du pont du Rhin » tandis que le restant de sa troupe se montrait à découvert dans le dessein d'attirer l'ennemi. Kaldenbach , qui commandait ce détachement , réussit à tàlre tomber Montécuculli dans le piège » si bien qu'il y fut blessé grièvement et en mourut à Colmar au bout de quelques jours de ma- ladie. Montécuculli fut extrêmement regretté dans Brisach et cet évé- nement donna plus de confiance au parti suédois. Le rhingrave vint avec trois mille chevaux se poster à Biesheim ; son camp fermait tous

' (^) Soldat suédois (de Spanheim} , pages 13 et 14. C) Idem /page 466.

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MOTICB SDE LE VIBOX-lIftlSACH. M.

les passages de l'Alsace et serrait la place de si près , que les inpé- riaox pensèrent ne devoir rien négliger pour Téloi^er. Us Tatta- qàèrent dans cette position le i7 juillet , un mois après l'échec qu'ils avaient essuyé y et furent encore repoussés; le colonel Mercy, qui revint à la charge le lendemain , y fut fait prisonnier.

Tandis que le rhingrave attaquait Brisach du côté de l'Alsace » le margrave Frédéric de Bade la bloquait du côté du Brisgau : la place eût été bieiuôt forcée de se rendre , si les impériaux n'étaient venus la secourir. Déjà même le rhingrave avait emporté un ouvrage exté- rieur, défendu par deux cent cinquante hommes» dont cent furent faits prisonniers ; le reste fut ou tué ou noyé , à la réserve d'une vingtaine qui purent avec peine rentrer dans 1^ ville. Le colonel de Rantzau signala de même sa valeur le 45 septembre- suivant , en se rendant maître de tous les dehors qui protégeaient le pont ; il les rasa après y avoir trouvé quantité de poudre, et pris quatre canons ainsi qu'un mortier. Les Suédois se croyaient sur le point d'entrer dans la place après les succès réitérés qu'ils avaient obtenus ; mais le duc de Féria y en faisant inopinément sa jonction avec Altringer» vient changer la face des événements : il se jette brusquement sur Seckii^fen avec dix mille hommes et prend Rheinfelden. Après cette réunion des armées autrichiennes, le rhingrave, n'ayant pas assez de troupes pour continuer le siège de Brisach , fut force de se retirer, (i)

Le traité conclu en i650 entre la France et la Suède devait expirer en 1635 ; mais les événements , dans l'intervalle ces cinq années , modiOèrent notablement la position respective des puissances belli- gérantes. Richelieu , qui avait d'abord envoyé une armée dans l'élec- torat de Trêves, fit entrer, pendant la campagne de 1653, les troupes françaises en Alsace. Un nouveau traité d'alliance .entre la ligue pro- testante et le roi Louis xm remettait cette province entre les mains de la France à la condition d'y entretenir un corps d'armée. Le duc de La Force , qui le commandait , s'était heureusement emparé du châ- teau de Haut-Barr près de Saveme, ainsi que de la ville de Haguenau. Richelieu espérait même que l'on obtiendrait bientôt le même résultat pour Brisach , et négociait dans ce but avec le comte de Salm. (*)

(*) LAGonxB , n , pp. 111 et 112. Les impériaux firent frapper une médaille en commémoration de la délivrance de Brisach ; pendant ce siège qui dora quatre mois, on frappa plusieurs monnaies obsidionales.

(*) Mémoires de Gauiiont , duc de La Force , lom. m , pp. 305-396 et 400.

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84i IllEVUE D^ALSAâe.

Après la débite des confédérés à Nordlingen » Bernard , duc de Saxe-Weimar , et le cardinal de La Valette firent ane belle retraite par Mayence jasqu'en Lorraine , pour prendre leurs quartiers dans cette proTince. La bataille ayait été livrée contrairement à Tavis du général Horn , et celui-ci était vivement affecté du résultat de cette terrible journée, dont les conséquences désastreuses devaient entraîner la ruine des protestants en Allemagne. Richelieu saisit le moment le duc de Weimar n'était plus d'intelligence avec les généraux suédois pour l'attirer à Paris. Ce prince s'y rendit bientôt avec le cardinal de La Valette dans le but de consolider l'alliance , et convenir en même temps des opérations ultérieures. Son inexpérience en matière d'éti- quette faillit tout rendre dès son arrivée à la cour de France , lors de sa première entrevue avec le roi ; il crut pouvoir , en sa qualité de prince f se présenter couvert devant Louis xiii qui , blessé de ce pro- cédé , se retira dans son cabinet sans vouloir lui donner audience. Mais les cajoleries de Richelieu et surtout les démarches obséquieuses du père Joseph , ce curieux et important conseiller du cardinal- ministre 9 ayant calmé l'irritation du prince saxon et la susceptibilité du monarque, il fut tenu des conférences entre le conseil du roi et le duc de Weimar. (t)

Quelque diflScile que fftt la position de la France alors menacée sur

{*) On lit à ce sujet » dans le testament politique de Louvois , qae le P. Joseph était du Conseil étroit, et que rien se décidait sans avoir pris son avis. Nous trouvons Tanecdote suivante dans la Vis du Père Joseph, p. 481 , édlt. de 4704: « Un jour ce capucin , sans lequel on ne décidoit rien sur la guerre qu*il ne donnât son avis , étant enfermé dans le cabinet du roi , sur la table duquel étoit le plan d'une place qu'on proposoit d'assiéger; il commença d'abord à parler: à peine laissa-t-il au duc de Weymar et au cardinal de Richelieu le temps de dire leur avis ; il parla presque toujours pour instruire le duc de Weymar qui devoil avoir le com- mandement de ce siège , lui marquant les endroits foibles de la place ; les postes qu'il devoit occuper , et généralement tout ce qu'il devoit faire et qu'il entendoit un peu mieux que le Père ; mais comme le roi et le cardinal le laissoienl parler, il l'écoula aussi paisiblement , et sur la fin , ce duc dont le sentiment n'étoit pas qu'on dût former ce siège , ny qu'il y eût antant de Tacilité qu'on luy en fesoit pjt- roltre , avec le doigt dont on se servoit pour lui marquer les endroits sur la carte , répoQdit en peu de mots au capucin : Cela seroil bon, Monsieur Joseph (ou Jouseuf), si l'on prenoit les villes avec les bouts des doigts. »

Voir , en outre, sur le P. Joseph, la curieuse historiette que nous en a laissé Tallemant des Réauz , § Lxx , seconde édition. ,

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NOTICE SUR LB TIBra-BRISACH. ÎX

toutes ses frontières (en 4655 et i636) , Richelieu accorda au duc de Weimar une pension de quinze cents mille livres , plus quatre millions par an , pour rentretien d'une armée de dlx*huit mille hommes que ce prince devait fournir et commander sous l'autorité du roi. (i)

Mais d'après un traité secret joint au précédent , la France cédait à ce prince le landgraviat de la Haute-Âlsace avec la préfecture de Ha- guenau , sur le même pied que la maison d'Autriche en avait Joui » sous la condition d'y maintenir la religion catholique , et elle lui pro- mettait que lors des négociations pour la paix générale , le roi ferait son possible pour que celte cession fût reconnue.

Le duc de Saxe-Weimar quitta la cour comblé d'honneurs et de présents, et fit la guerre en Franche-.Comté durant l'année 4656. La ville de Strasbourg lui ayant refusé le passage du pont qu'elle avait sur le Rhin , il en fit établir un à Rhinau , ce qui inquiéta vivement Brisach et les places voisines, car les impériaux n'avaient pas , vers la fin de cette année , de forces suffisantes à opposer sur ce point aux Weimariens. (^) Ceux-ci ne firent pas de grands progrès en 1637 , antérieurement à l'arrivée du duc de Rohan qui leur amenait des ren- forts. Bernard de Saxe-Weimar fut épris des charmes de Mademoiselle de Rohao qui avait accompagné son père; l'alliance que l'on projetait avec lui était de nature à lui faire concevoir les projets les plus ambi- tieux , parce qu'il se flattait de devenir ainsi le chef des Etats protes- tants de l'Allemagne et le protecteur des réformés de France ; il en ajourna toutefois l'exécution jusqu'à la réalisation de son duché d'Alsace.

Vers la fin de cette môme année 4657, le cardinal de Richelieu attira de nouveau le duc de Weimar à Paris , ils eurent plusieurs conférences dont le résultat fut que l'on attaquerait Brisach , qui était alors réputé le boulevard de l'AIllemagne. (^)

Les Weimariens obtinrent des succès signalés dans la campagne de 4658 qu'ils ouvrirent par la prise des quatre villes forestières. Des combats opiniâtres furent Ifvrés à Rheinfelden et à Lauflenbourg : D'Erlach , major-général du duc Bernard , fut fait prisonnier à la pre-

(*) LAGinLLB , preuves (pour le traité de 4655, pag. 446.) Rambev , HisL de Turtnne, lom. i«, pafg. 46. Mém. d*ERLACH, lom. i», pp. 30-34. (*) JUéreure français, tom. xxi, p. 405 ; Laguille , t'om. u, pp. 436 et 437. (') Mém. d'ERLACH, tom. !•', p. 38. Ramset, But. de Turmne^ 1. 1*', p. 54.

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M beyhb d'alsags.

roière Jouniée ; maifl à la secoode , Jean de Werth , (f) Savdii et d'autres généraux impériaux Turent pris à leur tour. La soumission de Frilx>urg suivit de près celle des villes forestières et l'on avait bit tomber par tout ce qui pourrait Taire obstacle à l'invesUssement de Brisach.

XVI.

L'empereur d'Allemagne avait pu apprécier l'importance de la posi- tion de Brisach , pendant cette guerre si longue et alternativement mêlée de succès et de revers. Il savait toute l'utilité qu'on en pourrait tirer pour le passage de ses troupes en Alsace. Dès le seizième siècle, comme nous l'avons dit plus haut xiv) , la maison d'Autriche avait amélioré les fortifications de cette place ; mais les perTectionnements dont l'arme de l'ariillerie et les armes à Teu en général avaient été l'objet , ayant démontré la nécessité d'entourer Brisach d'ouvrages construits d'après les nouveaux systèmes de défense , ce travail Tut exécuté dans le cours de Tannée 1637 avec tous les soins et tout l'art possibles. L'attaque du rhingrave Ottoa-Louis, le siège de 46^3 pen- dant lequel la place Taillit tomber au pouvoir des Suédois , était d'ail- leurs un avertissement pour les précautions que l'on ne pouvait plus négliger de prendre. Cette Torteresse avait pour gouverneur en i638 un gentilhomme de la Tamille des Reinach de la Haute-Alsace , chef d'un courage éprouvé ainsi que d'un devoûment absolu à la maison d'Autriche ; sa garnison était nombreuse et composée de soldats choisis.

Le duc de Weimar n'avait à sa disposition que quinze mille hommes suédois et allemands , plus cinq régiments Trançais que Guébriant lui avait amenés le 23 a\(ril . Torces insuffisantes pour Taire un siège aussi difficile que celui de Brisach et tenir tété en même temps à l'ennemi ,

{*) C'est ce même Jean de Werth qui avait causé une si grande alarme dans Paris, lors de Tinvasion de la Picaixlie et de la prise de Gorbie en 1636. Il Ait envoyé eomme prisonnier à (aris et plus urd à Brisach , oik il fut échangé contre le général suédois Bom, au bout de quatre ans de captivité. La résidence de Brisach lui Ait assignée en 1641 , et il y resta , depuis le mois de septembre de cette année, jusqu'au 24 mars 1642, époque à laquelle il recouvra sa liberté.

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NOTICE SOI LE TIEUX-BHISACH. 8S

qui ne manquerait pas d'acconrir i>our dégager la place. II avait donc prudemment résolu de se borner à un blocus et d'attendre de la famine ce qu'il ne pouvait décider par la vote des armes. Un accident qui arriva dans la ville » le 15 mai , parut même devoir amener procbai* nement cette solution. Quatorze soldats de la garnison étant entrés de nuit dans les magasins pour y voler du blé , laissèrent tomber du feu sur des barriques de poudre qui y étaient au nombre de quatre-vingts : la poudre s'enflamma et fit sauter le magasin , Ton conservait aussi les médicaments et quatre cents sacs de blé. Un grand nombre de maisons loisines furent presqu'enlièrement ruinées par cette explo- sion , et ce malheur fit redoubler les instances du gouverneur pour avoir des muoitions et des vivres. (>)

L'empereur, vivement alarmé des progrès des Weimariens, avait rassemblé à la hâte une armée dont le commandement fut confié au général Gœtz , et Savelli étant parvenu à s'échapper de prison , ne tarda pas à aller le rejoindre. Gœtz s'établit d'abord à Offenbourg d'où il fit tous ses eflbrts pour jeter des secours et des vivres dans Brisach. Le duc de Weimar , de son côté, ne négligeait rien pour resserrer le blocus de la place : Neubourg, que les impériaux avaient abandonné après la prise de Fribourg , fut occupé par lui ; un pont y fut jeté sur le Rhin , et tout accès fermé du côté de la Suisse. Cependant Gqetz prit si bien son temps qu'il fit passer de nuit un bateau chargé de trois cents sacs de blé, qui donnaient pour un mois de vivres aux assiégés, et se retira immédiatement après dans le Wurtemberg. Le prince saxon voulant alors se rendre maître du cours du Rhin , lança un bateau chargé de feu d'artifice pour rompre le pont de Brisach, mais le gouverneur fit planter dans le fleuve des pieux qui arrêtèrent le bateau , et avant que ces pieux pussent être rompus , le feu prit au bout des mèches , ce qui produisit l'explosion de tous les artifices sans causer de dommage au port. Un nouveau secours en vivres et munitions étant également parvenu aux assiégés près du pont, le duc de Weimar en fut désespéré , pensant ne pouvoir atteindre le but de son entreprise; mais bientôt un renfort amené par Turenne, lui per^ mit de sortir de la position d'immobilité à laquelle il était réduit et après avoir couru à la recherche des généraux Savelli et Gœtz , il les

(') LàGuujjB , tom. II , psg. 141.

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K6 lUBTim D'ALSACE.

battit complètement à Wittenweyer , en face de Rhinau. (*) A peine débarrassé de cette armée « il fit travailler sans retard, dans les mois d'août et de septembre » aux retranchements et à la circonvallation de la place » prévoyant bien que les Impériaux ne s'en tiendraient pas et allaient tenter un suprême effort pour jeter du secours dans Bri* sach. (I)

L'empereur avait effectivement ordonné à ses généraux de faire une nouvelle tentative au risque d'essuyer une nouvelle défaite. A peine les lignes des assiégeants étaient-elles achevées , que le duc de Lor- raine se mit en marche , vers le milieu d'octobre. Bernard de Saxe- Weimar sortit de ses retranchements dont il confia la garde àGuébriant et à Turenne , pour aller à sia rencontre à Thann , il le défit dans un combat aussi décisif qu'avait été celui de Wittenweyer. Après avoir fait une halte de repos à Ensisheim» il retourna dans ses lignes et fit

(') Mémoires de RicbeiIibij et de Montglat , année 1638. Lettres de Richb- Lnu , idem. Le cardinal-ministre écrivit aux maréchaux de La Force et de Ghftlillon pour leur apprendre cette importante Tidoire k laqnelie les Français , 80US les ordres des lientenants^énéranx Guébriant et Turenne , prirent «ne très- grande part. L'historien de Turenne (Ramsey) fiiit » A propos de ceUe lettre , la remarque , que l'on voit apparaître pour la première fois la dénominaUon on le grade de lÀeutenant-gMrai dans nos armées.

(*) Mercure français , tome xui , page 494. Voici , d'après une gravure (que nous possédons), de quelle manière le duc de Weimar avait investi Brisach, après avoir reçu les renforts ameoés par Turenne :

Rive droite du Rhin : Un camp au-dessous de la ville et vers la pointe du SeMoeeplatz ou du quartier des Juife ; ce camp était occupé par les troupes fran- çaises. Des redoutes ou forts étoiles , sur les premiers contreforts du Kayserstuhl vers la place , appuyaient une ligne de circonvallation avec redoutes etii redans qui reliait le camp des Français à celui des troupes de nation allemande , lequel était situé vers Hochstett et complétait avec une vaste redoute sur le Rhin l'inves- tissement de ce côté.

2o Rive gauche : Une redoute dans une lie au-dessus de VEckarteherg , proté- geant un pont que les ^eimariens avaientsurce point et qui aboutissait k la redoute du Rhin de la rive gauche , fiiisant l'une et l'autre tète de pont ; une ligne de cir^ convallaUon pareille à celle de la rive droite partant du pont dont il vient d'être question et joignam le Rhin k la hauteur du camp français de la rive droite ; le quartier-général du prince commandant le siège se trouvait sur la rive gauche avec tous les Suédois y à l'exception de ceux qui occupaient les forts du lUysep» stuhl (rive droite).

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NOTICE 3im LE YIECX«BRISACH. 57

attaquer le fort Saint- Jacques qui fut emporté ; les asri^és, dès-lors, se trouvèrent beaucoup plus resserrés qu'auparavant.

Gœtz et Lamboy qui avait pris la place de Savelli » informés de la débute du duc de Lorraine, ramassèrent de tous côtés des troupes et vinrent attaquer les lignes weimariennes de la rive droite ; mais ne pouvant espérer de réussir dans leur tentative « ils passèrent le Rbiu pour aller prendre Ensisheim d'où ils pourraient incommoder l'armée de siège. Turenne s'y porta en toute bâte et leur fit essuyer une telle défaite» qu'ils ne songèrent plus à secourir Brisacb. (i)

Le 7 novembre ceux de Brisac abandonnèrent le fort qu'ils avoient basti pour la défense d'un moulin à eau , auquel ils mirent le feu et se retirèrent dans la ville : les assiégeans s'esloient desja fort aprocbes de ce fort par des mines continuelles qu'ils avoient faites pendant deux jours. La mesme nuit le duc de Weymar envoya cent ou six vingts François sous la conduite du vicomte de Turenne et du sieur de Roque- servières pour attaquer le fort A'Eiisenberg ou Roche de fer^ qui fut emporté beureusement » avec un. capitaine et trente bommes de la garnison , qui furent faits prisiyiniers.

c II creut aussi que les nécessitez ausquelles la place assiégée se voyoit réduite , la pouvoieot désormais obliger de pourvoir à ne tomber dans la dernière extrémité. A cet effet Son Altesse fit entrer un trom- pette dans la ville pour inviter le gouverneur à recevoir de luy des conditions équitables et une bonorable composition ; avec cette menace que si contre la raison et la conscience il vouloit défendre plus long- temps cette place , il ne s'étonnast si on le traittait moins convena- blement à sa qtialité. Celte semonce n'eut point d'effet , le gouverneur ayant respondu , qu'il entendoit de se défendre encor , et de souffrir constamment tout le mal qui lui pouroit ariver. Ce terme de la eon^ science que le duc de Weymar avoit employez dans sa lettre, pouvoit estre une plainte de ce que le baron de Reinacb , gouverneur de

(') Le rédt que dous donnons ici des dernières opérations de ce siège mémorable a été composé immédiatement après la reddition de la place et se trouve au tome xzii , pages S60 et suivantes du Mercure prançaU , ouvrage devenu fort rare. « Ce siège dura huit mois , pendant lesquels on livra trois batailles et trois com- bats contre l'armée autrichienne et celle du duc de Lorraine : Turenne 8*7 distin- gua. « Mém. de NAPOLtf<Nf , précis des guerres de Turenne, Moniteur universel an 22 octobre 1832. Voir aussi les mémoires de Richelieu , Montglat et Ramset, Mist. de Turenne,

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S8 «BTUE D'àLSàCB.

Brisac n'avoit pas voalu relâcber (|aelqaes prisonniers snédois, ny par eschange, les laissant périr de faim et de misère dans des cachets ils estoient détenus.

c Le 29 octobre le duc de Weymar aToit recen nn grand renfort de Tivres , arivez par le Rbio dans son camp. Lôrs furent interceptées "des lettres que le gouverneur avoit escrites un peu au paravant au roy de Hongrie » qui portoient qu'ils n'avoient plus de pain que pour deux jours » et de la cbair pour quelque peu de temps : d'avantage , que la plus grande part des soldats et principaux officiers estoient morts , ou avoient quitté , et quant à ceux qui restoient » qu'ils estoient presque tous indisposez : que le terme donné depuis le 4 septembre jusques à six semaines estoit passé , et quelques jours de plus : Que tout estoient réduit à l'extrémité , n'osant pas mesmes commettre à la plume tout ce qui en estoit : mais qu'il estoit résolu de ne devoir rien en vertu et constance à ceux d'Hermânstein.

c Les assiégeans ne pouvoient pas désormais estre plus proches de la ville par leurs mines et autres travaux. Le i6 novembre ils gai- gnèrent un fort entre les deux ponts* les babitans se défendirent avec tel courage , que quelques uns foibles et indisposez par le man- quement de nourriture , tirans plusieurs coups de monsquet » tom- bèrent de dessus les bastions , avec leurs armes , des esclats de leurs propres coups.

< Ce fut lors que les François ayans ataqué un fort des assiégez taschèrent envain de monter sur la colline d'Eckersperg (Eckartsberg), et qu'en cet effort violent qu'ils y firent , trois cens ou environ des plus hardis y demeurèrent , pendant que les assiégez souffroient des incommoditez extrêmes faute de pain , et par des veilles et travaux continuels avec une patience incomparable.. {})

c.Le six- décembre sortirent de la ville quatre hommes achevai pour tascber à passer seurement par quelque endroict , et avertir ceux de leur party , du misérable estât de la place. Trois d'iceux tombèrent entre les mains des assiégeans , et le général-major d'Erlacb , parce qu'ils portoient des lettres injurieuses , les fit condamner à estre pendus devant la ville » mais le quatrième eschapa pareil traitement , s'en estant retourné promptement dans la ville » ayant recogneu la diffl^

(*) Gœtz , pendant ce siège , (kîsiit de gnnds efforts ponr surprendre les yilles forestières ou tout au moins les inquiéter pour fidre une diversion.

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NOTICE SUR LE YOEUX-BRISACH. S9

coUé de passer. Finalemeot le 7 du mesme mois de décembre , le dernier fort des assiégez , qai estoit sar le poot , (i) fut occupé par les gens des colonels Scbmidberg et Batilly, lesquels l'ayant miné ^ et ftitt s:iuter avec de la poudre* il y eut une ouverture si grande » qu'un chariot y pouvoit entrer. Le fort estant pris , le pont sur le Rhin fut aussi au pouvoir des assiégeans qui réduisirent les ennemis au point de voir leur ville desnuée désormais de toutes ses défenses.

< Le baron de Reinach , gouverneur de celte place » qui estoit en si grande recommandation à la maison d'Âustricbe , sans qu'elle pût toutes fols la conserver plus longtems , ayant perdu toute espérance de secours dans l'extrême disette de vivres il se voyoit réduit , prit résolution de penser à quelque boneste composition : de sorte que le 7 décembre revint au camp un trompette que le colonel d'Ërlacb avoit fait entrer dans la ville , avec une lettre du gouverneur qui donnoit à connolstre que les assiégez se porteroient à capituler sous des condi* tiens tolérables , en baillant, des ostages pendant le traité qui s'en feroit. Le duc de Weymar en estant averti vint de Rbeiufelden au camp avec les principaux colonels et oflSciers de l'armée. Avant que se mettre en chemin » il donna ordre de faire porter par eau vingt mille pains pour estre distribuez à la garnison de Brisac qui se mou- roit de faim , dès que la capitulation auroit esté accordée. Le 8 , sur le soir, trois officiers de la garnison se rendirent au camp et y furent bien traitez : avec eux entrèrent dans la ville le lendemain 9 le major du. régiment de Mauser , le lieutenant du gouverneur de Bonfeld , et un enseigne de la garnison de Hatzstein. Les habitans avoient dressé xvii articles, sous la condition des quels ils entendoient de se rendre, qui furent renvoyez par le duc de Weymar et réduits à xiv qui s'en- . suivent :

i. Le baron de Reinach , gouverneur de la place , le colonel Escher , le goavemenr de Wietz et tous les anU-es officiers avec leurs soldats et sulvans, bardes et bagage, conftme il se pratique en guerre , après qu'ils auront dé- laissé en garde aux soldats do doc de Weymar les principaux corps de garde de Brisac , en sortiront le dimanche 18 décembre , et avec la provision de pain pour deux jours , seront conduits senrement à Offenhpurg , et de à StoUhofen par un trompette.

(') Ce fort qQî était entre la ville et le fort Saint-Jacques , avait pris le nom de demMiine ou fort des Italiens après la capitulation (voir la topographie de Mérian) n'existait pins en 1682 et ne se trouve point sur le plan.

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60 UITUE D'ALSACE.

ff 2. Les mesmes officiers et soldats , sains on malades , qnl voudront s*en aller par eau , seront conduits sor des barques à Strasbourg ou à Pbilips- bourg , avec les bardes , la vaisselle et le bagage du baron de Reinach et de ses officiers, en laissant toutes fois caution pour le sauf conduit , les bateliers et les bateaux.

ff 3. Le gouverneur pourra et luy sera loisible d'emporter ou amener avec luy deux pièces d'artillerie de bronze, de 8 liv. de balle , avec 20 boulets et deux barils pleins de poudre.

c 4. Le mesme gouverneur envoyera quelqu'un des siens à Strasbourg pour en obtenir le sauf conduit : ou s'il est refusé , les siens seront mis èz envi- rons d'Altenheim , ou èz plus prochains lieux et limites d'Offenbourg , et conduits seurement jusque en laissant caution dans la ville pour la seureté de l'escorte , à ce qu'elle puisse revenir librement et sans danger.

c 5. Les soldats qui ont quitté pour passer aux ennemis , ne jouiront point du bénéfice de la capitulation , mais seront livrez au duc de Weymar : Toutes fois ceux de la garnison de Brisach , qui pendant le siège sont tombez entre les mains des assiégeans, et revenus encore dans la ville , pourront s'en aller avec leurs compagnons , sans empeschement.

t 6. Le dit gouverneur prendra soing de commander expressément que le gouverneur du cbasteau de Landscron en tire la garnison, et la meine à Wil- ligen ou à Offenbourg.

c 7. Les prisonniers de part et d'autre , principalement ceux de Brisac et du cbasteau de Landscron seront renvoyez sans rançon.

c 8. Ceux qui de la part de la maison d'Àustriche auront servi aux affaires de la Chambre , et autres de la justice , après qu'ils auront expédié , ou tiré des principaux archives , registres , comptes ou autres actes , ce dont ils au- ront besoin , s'en pourront librement aller.

c 9. Tous les archives, registres, actes, documents, comptes, papiers et livres de Notaires de Cour et de la guerre , et tout ce qui appartient à la Cour et règlement de la Chambre , ou cité de Brisac , avec les ordonnances , comptes et livres des Tailles , impositions et péages , etc. , seront conservoE , comme il est plus amplement dans l'original.

c iO. Tous les canons et les meubles de guerre , armes , boulets , grenades, et tout ce généralement qui appartient à la guerre, sera indiqué fidèlement» et n'en sera rien caché ou supprimé à dessein ou par fraude.

c li. Les citoyens et autres habitans demeureront libres, et sans aucun trouble en la religion catholique , en leurs biens , églises et couvents : Que si aucuns des ordres religieux veulent sortir des couvents , il leur sera loisible de le faire , de mesme qu'aux autres personnes nobles de sortir de la ville.

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MOnCE SDR tB TIHUX-BRISAGH. 61

f 12. Tons 168 meobles appartenants à la maison d'Âastriche , et les antre» biens portez dans la ville pour y être en senreté , y seront laissez , et indiques fidèlement.

c 13. Le baron de Reinach, gouverneur de la ville et chastean de Brisae, laissera caution dans la ville , de tous feux cacbez , mines souterraines» et tous autres dangers et encombriers secrets en tous les endroits de la ville.

c 14. Tous ces articles seront entièrement et inviolablement gardez de part et d'autre , sans y estre contrevenu en aucune sorte.

c Fait et accordé au camp devant Brisac , le 16 décembre 1638. »

c Après avoir signé les articles , le duc de Weymar apprit l'issue du mauvais traitement fait à trente de ses soldats prisonniers à Brisac pendant le siège , c|u'on avoit laissé mourir de fiiim ou de misère : ce qui le mit en telle colère , qu'il fit avertir le baron de Reinach qu'il ne pouvoit pas luy respondre de ses soldats » lorsqu'il auroit à passer parmy enx » à cause de l'inhumanité pratiquée envers leurs compa- gnons. Les principaux ofQciers de son armée taschèrent de l'adoucir, afin que cela ne rompist pas le traité.

Le 18 , sur les 8 à 9 heures du matin , la garnison réduite à quatre cens hommes qui se portoient bien encores , et 50 malades » sortit de la ville , avec 19 enseignes , 70 chevaux , 2 mulets , six caresses et trois chariots de bagage. Les malades avec le bagage s'en allèrent par eau , et les sains avec les enseignes déployées , les tambours batans et la baie en bouche , se mirent en chemin par terre.

c Pendant qu'on trailoit la reddition de la place , le duc de Weymar fit entrer mille ou douze cens pains dans un bateau sur le Rhin » pour soulager la faim extrême des soldats , dont quelques uns mangèrent si avidement qu'ils en moururent subitement.

c Le baron de Reinach sortant récent du duc de Weymar des re- proches de la cruauté dont il avoit usé envers ses soldats. Il tascha d'excuser le faict , en alléguant que la chair de cheval ne leur avoit non plus manqué qu'à ceux de la garnison , à l'égal desquels il avoit traité ses prisonniers ; mais la misère en estant venue au point , que la chair humaine , mesmes des corps moris n'y avoit pas esté espar- gnée , il n'avoit pas peu fournir de vivres aux siens propres. Le duc de Weymar ne demeura pas satisfait des raisons de ce gouverneur , lequel il récent avec plus de froideur et de gravité qu'il n'eust pas bit 9 si cette plainte n'eust aigri son courage. II alla avec les femmes

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62 BEYUB D'ALSâCB.

et les gens de pied (l'infanterie) juaques à Eysenberg , 3 se mit sar le Rhin.

c Le chancelier de Brisac nommé Yolmar , homme d'aage , sortant en habit noir, apoyé d'un baston , se présenta devant le duc de Wey- mar» et se prosterna à ses genoux par trois fois : il ne le récent pas avec un visage si doux qu'il avoit fait le colonel Escher , parce qu'il avoit parlé de luy avec peu de discrétion : dont il luy fit des reproches, et dit qu'on le luy pardonnoit pour cette fois.

c On trouva dans cette place toute sorte d'artillerie et de muniUons de guerre , à sçavoir 435 pièces d'artillerie dans le chasteau et dans la ville. >

(Suit le détail des pièces et des munitions dont Mérian , dans sa topographie » donne une liste à peu près semblable).

c La cherté de toute sorte de vivres fut très-grande dans la ville » pondant les huit dernières semaines de quatre mois que dura le siège , jusques qu'une bague enchâssée d'un diamant de très-gnmd prix fut baillée pour un pain de trois livres et une mesure de vin , et une dame donna quelques perles qui valoient 80 impérialles pour le quart d'un muid de froment : un œuf coiistoit un florin et une poule cinq : on en vint jusques à vendre à haut prix la chair de cheval , de chien et de chat. Les peaux de plus de deux mille chevaux, bœufs , vaches, veaux et brebis furent vendues, l'une portant l'autre , jusques à cinq florins la pièce. {})

(*) BaACHEUUS, Biêtorianan noitri temjwrii^ Iî6. v, donne à peu près les mème9 deuils. Noos connaissons trois listes détaillées de la cherté des vivres à Brisach : !<> Celle publiée par M. Mossmann , dans sa Chronique du Dominieains de GuebfoiUer , pp. 284-287. -— Une antre qui se trouve dans la chronique manuscrite de Frey à la bibliothèque de Scblestadt. -^ Une troisième enfin dans la topographie de Mérian , d*après le Theatrum Europeum et d*auUres relations contemporaines , de laquelle nous extrayons les passages suivants :

« En un seul jour, huit en&nts de &milles notables périrent de fiiim. On déter- rait les cadavres ensevelis depuis plusieurs jours et après les avoir ouverts, Ton en arrachait et dévorait les entrailles. Les soldats qui étaient en prison , faisaient des trous dans la muraille pour se sustenter avec la chaux délétère ; ceux d'entr'eux qui mouraient étaient dévorés tout crus par leurs camarades , et sur trente hommes qui étaient dans cette prison , il en resta huit ; les autres succombèrent d'inanition. Des soldats aérant entraîné un garçon pAUssier à leur caserne , sous prétexte de lui donner un morceau de pain , coupèrent cet individu par morceaux et le mangèrent immédiatement. On trouvait tous les matins des cadavres dans les rues. Les officiers

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honcB stm ls hbdx-beisacb. 6S

c Ensuite de la reddition de cette place tmpo|tante, le duc de Weifmar s'y trouva le 25 décembre en belle assemblée et comme en triomphe : en présence de Frédéric et de Sylvius Nimrod » daca de Wirtemberg , du marquis de Dourlac , de l'ambassadeur d' Angle- terre 9 et de plusieurs chefs » colonels et autres oflBciers ; il assista à un sermon , comme pour rendre grâces à Dieu de l'heureux succès de ce siège, dans l'église principale de Brisac. Après quoy fut faite dans le cbasteau une très-somptueuse collation » en laquelle il beut à la santé du roy » et de roonseigoeur le dauphin ( depuis Louis xiv) dont la naissance avait esté célébrée dans son armée pendant le siège , eC des roynes de Suède. Sur le soir toute l'artillerie joua par deux fois , avec trois salves de mousqueterie. En tous les lieux voisins à sçavoir Haguenau » Benfeld , Schlestadt et Colmar , on solennisa la mesme feste. Et finalement à Paris» le Te Deum fut chanté par ordre du roy. Quatre vingt et onze cornettes avec quarante huict drapeaux gagnez sur les ennemis furent portez à Nostre-Dame par les Suisses de la

de hsiit grade recevuent du pain et de ra?oine ; les subalternes n'obtenaient qao do son avec des glands de ebène cuits au four ; on mangeait les peaux et cuirs des chevaux et de tous les autres animaux.

On Tendait le Malder ou Viertel de son (six boisseaux) i32 florins.

Une demi-livre de pain de son coùuit 18 batzen.

On a donné un anneau d'or enricbi d'un diamant pour 3 livres de pain et environ une pinte (Maau) de Tin.

Un boisseau de (H>ment non moulu coûtait 40 Reichsthalers.

Un œuf coûtait un florin ; une poule cinq florins.

Une livre de beurre se pajait quatre florins et six batzen.

Une livre de sel douze batzen.

Une pomme trois batzen.

Une citrouille sept florins.

Une livre de cheval sept batzen.

Une livre d'entrailles de cheval sept batzen (ou S f).

Une livre de chien sept batzen , et .la partie postérieure de ranimai se vendait séparément sept florins.

Un diat coûtait un florin , etc. , etc.

On mangea tous les chiens et tous les chats ainsi que deux mille chevaux , hœuhp vaches , veaux et moutons, à raison de cinq florins la livre de ces demiera, en moyenne. On voit par ces affreux détails que les.horreun de la faim et des privations de toute espèce , ne le cèdent point k ce que nous savons du fimeux siège de Gènes , Masséna s'est couvert de gloire.

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M UYUB B'ALSAGB.

garde du roy » sqps la conduite du sieur de Grave , escuyez du car- dinal de Richelieu , et du chevalier de Wikefortb , tous deux envoyez à S. H. par le duc de Weymar. Tous les canons de la Bastille et de la Grève relevans le son des trompettes et des tambours firent un long concert qui ravit les âmes guerrières » et l'on vit sur le soir une si grande multitude de feux dans tous les carrefours de Paris* qu'il y en èust d'assez simples pour s'imaginer que cette grande ville alloit périr par un embrasement général. Ce siège qui dura quatre mois » cousta plus de cent mille impérialles et de part et d'autre quatre vingt mille hommes y demeurèrent » ou périrent de leurs blessures. Les grands frais de ce siège furent aucunement récompensez au vainqueur , par le gain qu'il y fit en or et argent qu'il trouva dans la ville. >

La joie , causée par la prise de Brisach » fut très-grande à la Cour de France ; le cardinal de Richelieu, en apprenant cette grande nou- velle , courut chez le Père Joseph qui se mourait et lui dit : Courage! Père Joseph» courage , Brisach est à nous ! (^)

xvn.

Les acteurs de la guerre de trente ans » généraux et soldats » ont un caractère à part qui a été fort bien apprécié par l'un de nos histo- riens les plus distingués.

c Les armées qui font la guerre de trente ans (dit M. Micheletdans son Précis de Chutoire moderne) ne sont plus des milices féodales ; ce sont des armées permanentes , mais que leurs souverains ne peuvent entretenir. Elles vivent aux dépens du pays et le ruinent. Le paysan ruiné se fait soldat et se vend au premier venu. La guerre » se pro- longeant y forme ainsi des armées sans patrie , une force militaire immense, qui flotte dans l'Allemagne, et encourage les projets les plus gigantesques des princes et même des particuliers, t

Le temps était venu pour le duc de Weimar de se constituer la principauté qu'il rêvait depuis son entrée en Alsace. Enivré par le succès , entouré comme un souverain dans son château de Brisach ,

(*) Vie du P. Joseph, page SOS, et ScHaTER, Bist, de la guerrede trente ans. Cette vie du P. Joseph se trouve aussi dans la oollecUon Da^jou , Archives ct»- rieuses de ^histoire de France , tome iv , série.

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MOnCE SUR LE ^IBUX-BBISAGH. 65

0 refusa de mettre dans la place des troupes françaises et fit battre monnaie à son eiBgie. (i) Depuis la mort du roi de Suède Gusiave- Adolphe t il était réellement devenu propriétaire d'armée. Richelieu , tout en lui faisant bon accueil lors de ses voyages à Paris , s'était ce- pendant toujours déGé de lui » ainsi que le prouve le jugement qu'il en portait dans une de ses lettres il dit ; c Monsieur le duc de Weymar est un excellent capitaine , mais tellement à luy , qu'aucun autre ne s'en pourroit asseurer. » Quoiqu'il en soit « le roi de France lui ayant fait entendre qu'il serait fort aise de le voir et de se réjouir avec lui du succès de ses armes , le manda à la cour. Mais le duc de Wèimar avait fait la guerre contre les impériaux bien plus pour son propre compte que pour celui de la France. Ennuyé d'ailleurs de dé* pendre d'un ministre, auquel il croyait, en sa qualité de prince étranger, devoir peu de déférence » il s'excusa de son mieux en pré- textant l'état de sa santé, et envoya à Paris le msyor-général d'Erlach qu'il venait de faire gouverneur de Brisacb, pour y soutenir ses intérêts. Les Français qui avaient tant contribué par leurs armes et leurs subsides à la prise de Brisacb , ne dissimulaient pas leur mécontente- ment de se voir exclus de cette place ; outre cela » le duc de Weimar avait en plus d'une occasion laissé échapper des propos désobligeants sur leur compte , et cette mésintelligence était connue à Paris. C'est ce qui faisait écrire au maijor-général d'Eriach les lettres suivantes : c Je supplie V. A. de cacher tout aux Français ; car, tout ce qui se passe près d'elle jusqu'à la moindre bagatelle , est rapporté ici : le tems t s'il (Matt à Heu , remédiera à tout ; mais il est besoin de patience et de fermeté, i

c Je prie surtout T. A. (lui écrivait-il une autre fds), de ne vonloir témoigner de dégoûts devant les François qui écrivent tout ici et altèrent les hnoieurs. »

(*) Parmi les médailles que nous avons pu voir dans la collection de M. Dorlan» avocat à ScUestadt , nous en dterons one de grand modale en or, représentent de &oe Bernard de Saxe-V^eimar et an revers la ville de Brisach.

Atcis : DVGATVS SAXON. BRISACENSIS. MDGXXXVIIL

Bevers: BEBNHABDO SAX. DVGI. VIGTORI VRBEM INGRED. ^ DEGBUB.

S. P. Q. BRISAG. SYBHISS. BRGO. RofiSSAiof , pp. 393 et 394 , donne le détail de dnq antres médailles outre les- quelles nous mentionnerons celles de M. Dorlan , tant pour le siège de i638 , que pour ceux de 1033 et de 1703 , (médailles obsidionales).

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BEYOB h'àlSACE.

Vfm était toutefois parGMtemeiit inslruit des préptratiTs extra6rdt<- naires qae fsiieiiit l'empereur et que le dac de Lorraine allait se rsûnitra en campagne. D'Erlacb représentait à la conr de Franoa qo'il était nrgéul d'augmenter l'armée, eomme de fonrnirde nouveaux subsides en allant. Il réussit dans une partie de sa mission ; mais ce«aK H n'afait pas d'instructions pour remettre Brisach entre les maine des Français , ni même les admettre pour.moitié dans le chiffre de ki gai^ nison, ainsi qu'on Pavait demandé dans le principe, le dncde Weimar ne le voulant point> et M-méme ne le lui oonseîllant en aucune fisçon, il n'obtint aucun secours en argent. On résolut néanmoins de porter i quatre mille hommes le corps placé sous les ordres de GnéWam qni devait agir de concert avec les Weimariens » et de lever en oacre quatre mille recrues pour le renforcer; la question de l'augmentatiett de l'effectif de la cavalerie ne souffHt point dediflfeulté, etitfiit accordé cinquante mille livres pour rétablir l'artillerie. Tous les plans du duc de Weimar, pour la campagne gui allait s'ouvrir, fbreat approuvés, et finalement on lui laissa la possession des plaoes qu'il occopait. (t)

RicbeHeu aivait cherché , pendant cette négociation , à marier le duc de Weimar avec une de ses parentes , la duchesse d'Aiguilloi»; mais celui-ci ne trouva point que cette alliance pftt convenir à «s prince de la branche aînée de la maison de Saxe ; H avait d'nilleurt , comme nous l'avons vu , l'iatention d'épouser MademoiseHe deRohan qui avait fisiit sur lui une très-vive impression.

ta campagne de 4639 s'ouvrit au milieu de l'hiver : le duo de Wei- mar ayant envahi la Franche-Comté avec onze mille hommes qui lui restaient disponibles , s'empara de plusieurs places et alla auendre la belle saison dans le fort de Jonx , après avoir pris ses quartiers dliiver. Quand il apprit les mouvements des Lorrains vers la Sonabe, il se rq^ procha du Rhin et s'établit dans Brisach , après avoir fait Jeter un pont à quelque distance au-dessus de cette ville. Ses généraux, aidés de l'armée française , qui se tenait cependant en défiance vls*à-vis d'eux et semblait bien plus avoir la mission de les surveiller que de concourir à leurs opérations ^ s'emparèrent d'un grand nombre de places dans la Franche-Comté. Thand , qui avait servi de refuge aux

{*) MéBMrires d'EsLAOi, tome i , pp. 43-tô. ^ lUnsiT , JKifoîfvdf Twrmne, tom. I, p. 62. AUBÉRT, Jfiffloîrede JUeMJiw, tom. I, pp. M.

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NOTICE 8Ua LE IWUl-BIIISAGH. 67

iapérianx bsttas (kendani le siège de Brfseeh » Me de même par tom- ber en leor peoroir.

On s'attendail » dès le débat de la campagne, à de gnifee é^ne* menu et la duo de Weimar songeait à augmeoier le nombre ses troupes , son armée étant insuflsaate pour résister an ïMoveaun efforts que tenterait la maison d'Autriche. Une circonstance « autre que celte que nous avons fait connaître ci-dessus , peut l'avoir déter- miné à quitter la Francbe-Comté : c'est que l'on y voulut attenter à aes jours. Bientôt après il courut le même danger dans le Brisgaa, quatorze hommes déterminés avaient voulu l'assassiner avec les prin« cipamt oflBeiers de son armée ; il échappa an assassins comme è tous les hasards de la guerre » peur mourir dans son lit au moment I pensait réaliser ses espérances , par la création d'une belle souverai- neié snr le Rhin peut-être fat-H empoisonné?

L'armée weimarienne étak à la veille de Mre un mouvement offensif^ lorsqne son chef, allant d'Huningue à Neubourg, fut saisi d^nne fièvre ardente» qui le priva de ses forces avec une promptitude elhiyante ; bientôt » sentant que sa fin était prochaine , il dicta son teetament; fit appeler à Nenbon^ ceu qui aiaient des commande- menia sons ses ordres et dans lesquels il avait le phis de confiance , safvpîr : le comte de Nassau » le général d'BrIaeh gouverneur de Bri* stth y les colonels Eheim et Rosen. Le duc leur recommanda l'union et le soin de son année, puis il menmi, trois heures après celte triste entrevue , le 5 juillet 4659. Ses restes furent inhumés dans la principale église de Brisach, d'où on les transféra en i65S à Weimar.

Bernard de Sne«Weimar joignait une fnstniction solide et variée à une capacité militaire de premier ordre que lui valurent les opéra- liona si nombreuses quil dirigea dans le cours de la guerre de trente ans. Ce grand capitaine , au milien même de ses succès , fut toujours en botte an tracasseries des géaéran suédois qui en étaient jaloux. L'ambition seule le porta vers l'alliance de la Frmoiee pour laquelle il n'épvoBva jamais de sympathies bien réelles.

GoniorméaMot amt dernières volontés de ce prince , le général d'BrIacfa » le comte de Nassaa ainsi que les colonels Eheim et Rosen devmrent les directeurs de l'armée ; ses conquêtes devaient étro remises A ceku de ses frères qui voudrait s'en charger , et è leur dé- faut » la France devait être préférée à toutes les puissances qui vou- ; y prétendre ; finalement , il espérait , que lors de la paix gé«

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68 REVUE D'ALSACE.

nérale , ces mêmes conquêtes ne cesseraient point de faire partie de l'empire allemand. On voit » par cette dernière disposition , que le héros saxon était entré dans les vues de Grotius qui était alors en mission à Paris , il faisait tous ses efforts , pour empêcher l'agran- dissement de la France vers le Rhin.

xvm.

Après la mort de Bernard de Saxe-Weimar , l'empereur, le roi de France » les ducs de Bavière , de Lawenbourg et de Lunebourg , le duc de Saxe frère de Bernard et le prince palatin Charles-Louis, cher- chèrent à gagner les troupes weimariennes. Le dernier des compéti- teurs que nous venons de nommer, le palatin Charles-Louis, fut celui pour qui elles montrèrent le plus d'inclinalion. Dès que ce prince eut appris à La Haye , il était , la mort du duc Bernard , il passa immé- diatement en Angleterre pour y chercher de l'argent , et après avoir amassé vingt*çinq mill# livres sterling , il en partit sans retard pour se rendre en Alsace. Comme la France était le plus court chemin , il voulut la traverser incognito ; mais le cardinal de Richelieu qui apprit en même temps ses desseins et sa marche , le 6t arrêter à son passage à Moulins et conduire au château de Yincennes , il fut gardé fort étroitement jusqu'à la conclusion du marché que la France passa avec les Weimariens.

Pendant la longue et difficile négociation qui eut lieu à cette occa- sion , d'Erlach qui avait déjà servi la France , de 1650 à 465â , en qualité de colonel d'un régiment suisse , obtint (ou reçut) une pensicm de douze mille livres. Ce général avait eu jadis de fréquentes relations avec le cardinal de Richelieu au sujet des affaires de Berne sa patrie , et en dernier lieu , comme nous l'avons vu , pour le duc de Weiniar, après la prise de Brisach. On dépêcha successivement le baron d'Oy- sonville et l'intendant de Cboisy près des troupes weimariennes ; le premier était porteur d'une somme de deux cent mille écus pour faire face aux plus pressantes nécessités et décider en même temps les chefs à reconnaître leducdeLongueviile pour leur général. Les prétentions de ces troupes furent d'abord exorbitantes ; mais l'habileté des négo- ciateurs et l'utile entremise de Guébriant, qui rendit d'importants

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NOTICE SUR LE TIEUX-BRISACH. 69

services dans les norobreases conférences qui eurent lieu , amenèrent la conclusion du traité de Brisach qui fut signé le 9 octobre 1639. (<) L'armée weimarienne , dont les chefs prêtèrent serment de fidélité au roi de France , conserva son organisation comme corps d'armée sur le pied elle avait toujours été ; tous les officiers furent main- tenus dans leurs grades. (>) Les places fortes devaient être occupées

f*) a Le duc de Weymar qui avoit demandé à ce que Gaébriant serrtt sous ses ordres , diaprés le témoignage que le duc de Rohan lut en avoit rendu à Rhein-* felden , fit bien Yoir le cas qu'il en fiisoit , car il lui laissa en mourant son cheval et ses armes, n oublia son épée; mais Péret , son sécrétaiie françois, l'en fit res« Bouyenir, et il la lui laissa aussi. Guébriant , par respect et par politique, ne voulut Jamais monter sur ce cbeval , et il le fiiisoit même mener en main à Tabreuvoir. Cela lui gagna terriblement le cœur des Weymariens; car quand ils voyoient passer

ee dieval, ifs loi ôtoient le chapeau Guébriant commanda cette armée en la

place du duc de V\reymar. Sa feinte ivrognerie lui servit aussi beaucoup ; car » quoiqu'il ne bftt ordinairement que de l'eau , avec eux pourtant il faisoit la débauche et escamotoit si adroitement qu'il lear foisoit accroire qu'il s'enivroit , puis 11 se klssoit tomber sous la table. On dit qu'ils en étaient charmes. »

(Tallemant des Réaux , Historiette de Cruéhriant,)

(') Le duc de Weimar, pendant ses négociations avec la France , avait obtenu pour quelques officiers de son armée des terres et seigneuries situées en Alsace. Voici ce que nous trouvons dans un manuscrit du dépôt général de hi guerre, écrit en 16K6 et ayant pour titre :

Méfnoire eoneemani lee payé eédex au Boy en Alsace par k traUé de ptdm de Mfunàter. S II« Terres et Seigneuries du Suntgau toutes lesquelles ont été données par le feu Roy , à la pirière de M. le duc de Weymar. !• Le Bailliage de Ferrette contenant la ville et cha^teau de Ferrette et 32 villages au feu colonel Taupadel, et la donation subsiste encores en la personne de son fils le S' Taupadel.

i S* Le Bailliage d'Altkirch contenant la dite ville et 40 vOlages au feu colonel

^ Betz et à son frère qui est encores vivant et les possède.

j Le haut et bas Landser contenant 30 villages , à M. Hervart.

Le Bainiage Thann , ville et chasteau avec 40 villages, au colonel Hœm (Eheim) qui les possède.

5* Les seigneuries de BeMbrt, Délie et Rougemont, au feu comte de La Suze et depuis ^ son fils qui les a perdues par sa félonie.

Les bourg et seigneurie de Florimont , les villes et seigneuries de Masse- vaux qui ont depuis été engagées. Nota. La plupart de ces concessions ont été révoquées en 1660 et i 661.

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70 BEYCE D'ALSACB.

par des garnisons mi-partie allemandes (ou suédoises) «t françaises » les gouverneurs nommés par le roi (ceux de Brisach et Fribeuif; main- tenus par un article secret) , et recevant de lui leur provision. DTErlach, à qui l'on était principalement redevable du succès de cette négocia- tion 9 resta gouverneur de Brisach jusqu'en i680, époque de sa mort; il reçut avec des lettres de naturalité une extension de pouvoirs, qui lui conférait le commandement supérieur de Fribourg , Neubourg » ainsi que des places de la Haute-Alsace ; sa pension fin en outre portée à dix^iuii mille livres^ (^) Dix compagnies d'infanterie française furent envoyées à Brisacb » après la conchision du traité , pour j tenir far* nisen avec les Weimariens qui s'y «Mutaient ; d'Oysonviite fat noaHoé commandant 4e tontes ces tronpes avec le tRre de Lieutenant de itA. Le fonvemeur d'Erlaeh pensa qu'on lui donnait moins un officier sous ses ordres quHin surveinant ; il écrivit au cardinal de Richdieu : c II semble qu'on doute de ma fidélité et qu'on ne s'y repose pas ; Brisach est le seul des gouvememens auquel on donne un lieutenant; j'ose espérer que Y. Em. ne se méfie pas de moi : si j'avais le malheur de ne plus lui être agréable je la supplie de permettre ma retraite ^ car, après cette disgrâce » je ne ponrrois » ni voudrois plus servir, t Le ministre lui réponduit par les protestations de confiaoee les plus flat- teuses, et il garda son gouvernement. Les Français réparèrent immé- diatement les dégâts que le siège avait pu causer auK lortifioatioas , dont les bastions prirent les noms de Richeliett» Weimar^ d'Erlaèh i d'Oysonwlle* etc. » etew « et la vile lut approvisionnée fMwr 4on ans.

Guébriant qui devint maréchal en 4M2 et conservait le comman- éement de l'aii^mée , reçut en I6<I5 ta visite de sa fcmme qui fut par- tout accueilKe avec les plus grands honneurs. On ne vit partout que festhis et feux de Joie. Brisach se distingua entre toutes les autres cités par le précieux don qu'elle fit à la maréchale , en lui accordant deux fragments des reliques des saints Gervais et Protais, patronsde la ville. («)

Cependant la fortune eessait de favoriser les armes des Franco- Weimariens et Guébriant fut mortellement aiuJnt au siège die Aoth-

veil « dans cette même année 1643. Le comte de Rantzaru , '«on «uc-

•■ - "' - - -- . ^^

(*) Mém. d*EaLACH , tomes i , ii et m. Aub£rt, JSîff. de BiehêUeu, iom. i^, pp. 10 à 40. Laguillb , t. u , p. 152. ^ Bougeadt , Négociât, de WettphalM»^ tome 1«S édition !*«» § 62.

(')LAG(nLLB,n»p. 159.

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NOTICE SUR LB TITOZ-BRISÀGH. 71

oessefur, conduisit l'armée à DutUiogen , ville deSouabe sur le Danube, le £oaite de Hercy, général des troupes impériales » le surprit, ^t après Jine bataille vivement disputée , le fit prisonnier avec la plupart de ses 4)ffiders et la presque totalité de ses troupes , à l'exception de cinq ou six mille hommes de cavalerie qui parvinrent à se réfugier sous le canon des, places du Rhin.

Turenne fut alors envoyé par la cour de France pour recueillir les débris de l'armée qui était presque détruite. Le maréchal se rendit en Alsace dans le mois de décembre 4643 et réorganisa l'armée qui prit ses quartiers d'hiver en Lorraine ; il fut surpris de voir , en arrivant àBrisach, que le gouverneur. avait abandonné son poste et s'était démis de son commandement. D'Erlach persistait dans la conviction que l'on doutait de sa fidélité ; la malheureuse pensée qui le dominait et le préoccupait incessamment, avait même fait naître en plus d'une occasion une fâcheuse mésintelligence entre lui et le lieutenant de roi. Ce gouverneur rassuré par Turenne , eut bientôt l'occasion de fiiire preuve de dévoûment dans des circonstances très-difficiles. Les soldats de la garnison de Brisaçh hii poctèrent des plaintes , en expo- sant que depuis fort longtemps ils ne recevaient plus leur paie. Alors les Français qui paraissaient les j[>lus exaspérés , furent les premiers appaisés par d'Erlacb qui leur fit distribuer queiqu'argent ; mais cette préférence irrita singulièrement les Allemands , qui en vinrent aux menaces pouf" obtenir du gouverneur ce qui leur était dû. Les impé- riaux avertis de ce qui se passait dans la ville, tâchèrent d'en profiter et engagèrent les soldats allemands à se déclarer pour l'empereur, ly Erlach , instruit de ces intrigues, n'hésita point à statuer un exemple ; il fit arrêter les principaux fauteurs de la sédition dont quelques uns forent pendus , les autres jetés dans les cachots , après avoir toute- fois , par une sage précaution , fait entrer un corps de cavalerie dans la place. Ce châtiment produisit un excellent efiet sur la garnison et rompit toutes les menées des ennemis, (i)

Turenne , après avoir convaincu d'Erlacb des bonnes intentions du gouvernement français à son égard , réunit Toutes les troupes dispo- nibles , passa le Rhin à Brisach et battit le baron de Mercy , frère de celui qui avait détruit , Tannée précédente , l'armée de Rantzau à

(*) Ramset » Histoire de Turenne , 1. 1 , p. i09 , et Lâguille , t. n , p. 101. Mémoires de Napoléon , Mtmiteur du 22 octobre 1852.

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72 REVUE D'ALSACE.

DuttUngen ; mais comme il était trop faible pour se maintenir en Souabe » il revint sur ses pas pour prendre une position d'observation en Alsace. Fribourg se voyant abandonnée par l'armée française et hors d'état de résister longtemps à l'ennemi , se rendit aux Bavarois quelques Jours après cette retraite. Ce fut bientôt après que le duc d'Engbien , depuis le grand Coudé, se couvrit de gloire dans les diffé- rents combats livrés dans les environs de celte place » à la suite des- quels les impériaux furent obligés de se retirer.

A. COSTB» Joi» M tribunl oivtt de SeUeitadt.

(la fin à une froehaim UwraiiOH.)

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SOUVENIRS DE NIEDERBROM.

SoaveDt roQ ya chercher au loin ce qu'on possède près de soi. Cest Gœlhe qui l'a dit , et ce. dicton qu'il appliquait à ses compatriotes , s'applique parfaitement à nous-mêmes.

L'Alsace possède , dans un site ravissant » au sein des plus belles montagnes du monde» des eaux minérales dont l'effet salutaire est in- contestable , et c'est à peine si ces eaux sont fréquentées par les Alsa- ciens. Strasbourg, Colmar, Mulhouse préfèrent, en général , les Bains d'eau-delà du Rhin ; et l'on va chercher , sur le sol étranger» des eaux dont l'efllcaciié est analogue , et quelque fois même inférieure à celles que nous possédons dans le pays.

Niederbronn , chef-lieu de canton d'environ 3,000 âmes , est situé i égale distance, entre Bitche et Hâguenau, à l'entrée de cette ravis- sante vallée f qui s'ouvre entre l'Alsace et la Lorraine , et qui , traversée par une excellente route va se nouant et se dénouant avec grâce » changeant d'aspect à chaque pas , coupée de charmantes vallées laté- rales ; tantôt sauvage , abrupte» encaissée par des rochers couronnés de noirs sapins » tantôt gracieuse, verdoyante, arrosée de cours d'eau sinueux» et animée par le bruit régulier de la scierie mécanique et du martinet, qui témoignent de la présence de l'homme et de son industrie.

Du côté opposé » dans la direction de Strasbourg , les Vosges pré- sentent un caractère moins sauvage et plus riant. Elles forment un ensemble de collines bien cultivées» de champs » de vergers» de jar- dins » qui se lient à la plaine immense du Bas-Rhin » au milieu de la- quelle se dresse » comme une colonne de nuée » la flèche hardie de la cathédrale de Strasbourg » sur le fond brumeux des montagnes de la Forét-Noire.

Niederbronn n'est pas un Bain nouveau : son existence remonte à la plus haute antiquité. On sait avec quel soin les Romains profitèrent

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74 BRVDB D'ALSACB.

partout de Texistence des eaux thermales pour créer des établisse- ments de baius. Ces puissaots civilisateurs » qui ont laissé sur tous les bords du Rhia des empreintes si durables de leur grandeur ei de leur force* aliiraieia ainsi de riches citoyens romains» et disaient de leurs eaux ^thermales des foyers d'influence et de civilisation au milieu de ces pays conquis.

Le peuple-roi a laissé à Niederbronn des traces non équivoques de son passage. II est certain que les premières constructions autour des sources provenaient des Romains « et que les deux bassins , de forme hexagonale » solidement construits en pierres de taille , qui renferment aiûwiyl'hiii les deux sources principales , sont aussi de construction ron^e » au moins à leur base. Mais les invasions , les désastres ei toute la barbarie du moyen-âge ont passé sur ce pays et y ont laissé ieurs ruines el leur poussière séculaire.

I^s monuments romains furent renversés et détruits » les deux bas- sins fureqt comblés» laissant s'échapper leurs eaux par des infiltrations» etleplus petit des deux avait si bien disparu» que pendant longtemps on ignora jusqu'à son existence» lorsqu'en 1592» le comte Philippe de HanaUt dans le domaine duquel se trouvait alors le bourg de Nieder- bronn » fit vider et nettoyer le grand bassin » opération qui amena la (Jécouyerte du petit. (*)

Dès-lors la source priocipale fut enfermée dans une pyramide creuse, en pierres de taiiie » d'environ deux mètres d'ouverture à sa base » do trente-trois centimètres à son sommet , sur une hauteur totale de dix mètres. C'est du sein de cette pyramide » destinée à préserver la bien- faisante Naïade de tout contact avec des eaux étrangères » que jaillit avec force la source principale. L'orifice supérieur de la pyramide est surmonté d'un beau vase en marbre jaspé» oii l'on puise l'eau destinée aux buveurs » et d'où elle s'écoule dans le bassin » elle ne tarde pias à prendre celte teinte d'ocre particulière aux eaux même légère- ment ferrugineuses.

(^ ûeseripHon de Niedirhrann tt «m mux niinéraUM , ftnr L Svi» , doéienr ênfnédedne. Parte i8S8. ÎJne noaveUe édilion de «et ootraffe^ctët^coinpltit Mt sur l6pôiiitiâ6'panittve..lI.leD'Kalin.» aédeotn à ^Niedortatonn , «onoiit» pavune Idngae jmUqae » les ettax 4e œUe source » et les baigneurs se trei»T6roat tpiyoars bien de saiyre ses cooseils. i^oatons que la maison du docteur est , pour les bei«- gneuia» une des plasragréahles.de Niederbronn» et que M«« Kubn en ûdi leshon- ne^r^ sveo nne cordiaUté toute alsacienne.

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SOUVENIAS DE WWnBRONlI. 79

Pendant que le^oomte de Auma ùkaktnge^oMUwmnt ( tonte une anoée^ on trouva enTaniet dans h vaae» 4m fond 4u baiwiSf plus de trois cents médailles fomaines, dont les pins anciennes n* montent aux derniers temps de la BépubUguA, «t les f^lus>«ésniiles« aux règnes de Tbéodose et li'iUtîaditts » .embrassant ainsi «n 6s|Ma d'enyiron quatre cenu ans. La plus ancienne nsl an coin dn tfitmvir Marc-Antoine , le conenrreni d'Ocuve.

Quelles peut être l'origine dscesmédaittes? Gomnentesfflifnnr leur présence an fond de la source ! H n'y a i^as lemnMMkB^tmie gne •es médailles ne proviennent i*ex*îMo jetés dans le bassin par dps baigneurs Tomâios « qui voulaient ^ de ^i^e^miaièae ^ témoignerienr gratitude à la divinité protactrice de la source.

Des tronçons de oolonnes« des fra0aients<debas4^eU(Sfc« -des InsevilH tiens, des vases» des ustensiles -en métal» nue foule d'idlijetsyrMeu» des autels tout entiers trouvés dans le sol à une profondeur «nsfeone de deux mètres cinquante centimètres» ne laissent aucun doute sur Je séjour prolongé qu'ont fait les Romains <]ajU£e (pays. Sobcspflln dit qu'aucune partie de l'Alsace ne contient autant d'antiquités romaines que les environs de Niederbronn* 0

Aujourd'hui , ces lieux ont ri^ris une vie nouvelle.; des embellisse* ments considérables en ont rendn le séjour ^^préabie aux baigneurs i quoiqu'ils fassent par même sentir d'autant pins vivement œ qui manque encore pour donner à ces eaux pliis d'animation et plus d'a- venir. One preuve que Niederbronn fait des progrès très-.sensibles dans la faveur publique » c'est la fréquence de plus en plnsg^randedes visi^ teurs. Les chiffres suivants , dont l'autbenticUé jest ^lariailement ga» ratftie » ont leur signification. En i824 , le nombre des baigneurs n'a été que de 812 ; il était de i »500 en 1834. L'année dernière il était de 2,000.

Autrefois la société de Niederbrbnn . était un peu monotone, et ce séjour , par conséquent , peu intéressant au point de vue 4e 1^ sooiaf bTlité. Depuis plusîenrs années déjà , les choses ont bien changé. Ce Bain est devenu le Bain à la mode d'une partie de la Lormine fran? çaise : Aetz » Nancy » Lunéville » Saint-Dié^ Raon » etc. » y envoient

('} AU9êM Ukutraia , i « U7 et sq. PmntJss coItoâtianft.leSipliiBMriofeS0S« Je dtend celle de M. le putenr Amiob , à Oberbnmn^ qui a cassMiréjei Msiis à rassembler des antiques toutes locales , et du .plus baut iatéràt.

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76 BSnnsIl'ALSAGB.

«DooellenMiit ose sodécé nombreose et choisie « qni fome » poor âinrî iSre» le nofaa des réanions. Strasbourg et ses eofiroos, la Bavière rhénane , la Lorraine allemande fournissent aussi un grand nombre de famllIes^; Paris même envoie régulièrement son contingent , sans compter les étrangers qui ^^somme des oiseaux de passage » arrivent des quatre coins de l'horizon.

Quant au confortable « on le trouve généralement à Niederbronn. Ssms doute ce n*est pas le luxe grandiose , ce ne sont pas non plus les vastes établissements y les magnifiques hdtels » les grandes s<»irées de Bade , par exemple ; c'est un séjour plus modeste» l'on va réelle- ment pour sa santé » et pour jouir ^ en même temps » des beautés de la nature ; c'est un séjour modeste » il est vrai , maïs l'on trouve réunis les agréments que demande le baigneur. Outre le WauxhaU , établissement presque riant , très*vaste et bien tenu » se trouvent les salons qui réunissent la société chantante » dansante ou simplement causante; outre les hôtels qni donnent l'hospitalité an voyageur à des conditions très-modérées » il y a encore un grandnombre de maisons particulières » dont quelques unes sont parfaitement disposées pour recevoir les baigneurs, et Ton est aussi bien que possible et à bon compte. En général , et cette considération n'est pas indilTérente pour tout le monde « Niederbronn passe » à juste titre » pour un des Bains les moins dispendieux.

Les eaux de Niederbronn sont à la fois purgatives et toniques ; elles se composent de muriate de soude , de muriate de chaux , de magnésie et d'une petite quantité de fer. Elles ont la propriété de purger abondamment sans affaiblir. Elles sont agréables à boire » et d'une digestion très-facile. On les prend à l'intérieur et en bains.

La vie du baigneur n'est pas toujours cette vie nonchalante d'un doux far menu » que l'on suppose ; la Naïade est capricieuse et n'ac- corde ses faveurs qu'à ceux qui se soumettent au travail exigé. Or , voici, en résumé, le travail quotidien de tout baigneur consciencieux.

Dès cinq heures du malin , 6n vient vous préparer un bain dans votre chambre. On sort du lit pour entrer dans l'eau ; puis on sort de l'eau polir rentret* au lit : manière fort agréable de prendre un bain , et qui vous met à l'abri de tout refroidissement. Après avoir goûté quelques instants d'un repos délicieux , vous vous rendez i la source, et commence l'importante affaire de l'ingurgitation. Suivant les constitutions , on prend de dix à douze et même quinze verres d'eau,

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SOUVEMIS ta NIMRBROffN. 77

de la conteBaDce d'nn tiers de titre » le tout aasaisoimé de con^rsa- tioos éariDemiuent aquatiques: Un orchestre » placé dansua pavilioa voisin., facilite la digestion des eaux , égaie ia promenade , qui , de sept à neuf heures » oflfire un aspect très-animé. Des groupes se forment autour de ia source , on se promène , on se quitte, on se reprend. Les uns préfèrent l'espace et le soleil ; d'autres choisissent les allées latérales ombragées de plaunes touffus » le long desquels sont établies des boutiques foraines» qui ottreni aux étrangers la séduction de leurs produits. En ce moment la promenade présente l'aspect d'une véri- table foire. Une longue galerie vitrée attenante ou Wanxbàll offlre un refuge aux buveurs en cas de pluie.

Mais dix heures sonnent ; la promenade , si animée tout-à-l'heure , devient déserte comme par enchantement. Un léger déjeûner pres- qu'invariablement composé de café et de petites couronnes , attend les baigneurs » qui » munis » de cette frugale colhition , prennent leur essor à travers champs , ou s'en vont par monts et par vaux » entre- prenant quelque excursion lointaine » dans l'intention de revenir à quatre heures pour le dîner , ou d'accomplir cet acte important de la vie sociale dans quelque ferme éloignée » ou dans quelque auberge de village.

Le soir» la promenade repeuplée, le salon , quelques réunions par- ticulières aident à achever doucement la journée. Le chant » la mu- sique , la danse font retentir les échos du Wauxball et ceux des bos- quets voisins. Le ciel est bleu et resplendissant d'étoiles » la lune verse sa lumière d'argent sur tes collines rapprochées » sur les massifs de verdure » sur toute ta paisible petite ville , et vient sqouter ses mysté- rieuses l)eautés aux splendeurs d'une belle nuit de juillet.

Les eaux de Niederbronn sont efficaces dans une foule de maladies, surtout celles qui proviennent de l'altération des humeurs» de l'atonie des fonctions digestives, des engorgements » etc. Bien des malades y sont venus puiser la santé et une vie nouvelle. On cite l'exemple d'un malade» d'une ville voisine » qui vint à Niederbronn » expédiépar son médecin en désespoir de cause » et qui non seulement se remit parfai- tement, mais qui» par reconnaissance» y revint passer régulièrement une saison pendant soixante ans» et mourut chargé d'années comme un patriarche. Un autre vient régulièrement » depuis vingt ans » y ra- fraîchir ses organes échauffés et fatigués par le travail » puiser des forces nouvelles et un inexprimable bien-être.

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78 Blfn DifiSAGB.

de ces vien dAris 4e l'empire , qui » teastoejevre , devieftnenc pfaH rares dsiw oelre pays* arrive à Niederkroan, sanseroir^àrefll* esdté de ses ean. Une de ses jaiabes reAue sod service aa vieux seldat ; il lui est iapessiMe de nurrclMr sans Tappui d'une cauue , avec laquelle il a4e la peiue 4 se tnteer : quinse jours du régime de oes eaux , el il Msail à pied i|uatre ou einq lieues dans les uwntagves.

Vous reneonires 4 chaque pas des visa0ssjattues^arivrés» eeupe^ IPOSÀ^ SMiguinoleoU , auxquels quekiues seunioes 4s régins^semblent dwner uu n^vei ëebi el une uouvsHe jeuoeise.

Celle piscine Ml des miracles, puisqu'elle ftimmieber les beiteux; ei, nouvelle fontaine de Jouvence , elle édaircit les teims Mieux » cc nyeuoit l'esprU el le coeur.

J*y ai vu le drame ne vaH-il pas se nicher? une Jeuue femme « .dont l'image m'esl resiée comme le type de la douleur muette dans tout ee qu'elle a de {dus cruel. Pâle, froide, les yeim peidos dans ce vague Ton ne voit rien , des yeux sans regards, la démarehe silencieuse , semblable i une ombre qui glisse mystérieusement , plu- i6t qu'à une créature humaine , ignorant complètement si eUe est an ndlieu de la foule ou dans la solitude , insensiUe à tout, impamible comme une statue de marbre , elle suit instinctivement sa mère , le seul être qu'elle reconnaisse encore , et auquel elle obéisse. Rien de phis douloureux que l'sspect de ce triste et beau visage, d'où la vie seari^le absente , et l'intelligence et le sentiment éclipsés ne laissent plus subsister qu'une action purement mécanique. PAIe Opbélia , eHe a perdu la conscience d'elle-même , et la parole s'est séchée sur ses lèvres muettes ; la même cause a produit le même effist , et le ecaur troublé s'est vengé sur la froide raison, qui prétendait le soumettre à ses calculs intéressés*

La principale occupation du baigneur, qui a rempli consciencieuse» ment ses devoirs eoYers la source , c'est la prom^UMie. Du ffand de la vallée , est situé Niedarbronn , il peut s'élancer dans toutes les directbns , sur de trouver partout un air pur , des sites rsvissanU , des montagnes pittoresques. Les environs de Niederbronn sont réel* lement très-beaux , et méritent d'attirer l'artiste , le poète , l'ami 4e la nature.

Pour les promeneurs peu valides ou paresseux, il y a d'abord la Prwmutdê de Ia tource^ qui , il est vrai, finit par devenir un peu monotone ; il y a ensuite la Témute qui s'étage avec grâce, un peu

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SODVEmS Di rattBBBRONN. 19

^0» Mn » et dn baot de la^tfâlle Niederhn»B » sa i9Me\ u tapies se dérooient an yeux encbaniéa. Que de soirées déltafensestse paeseet dans oee ahnaMes lien \ Un peu ph» Md « tath router de Bitche » à enfiroii un kttomèire , se trevfe Forjfe , irès^pitteresqiie^ nhent shtffo^ao berd d'un ëiaDg , an pieds des ttontagoeada Wffea* bourg. Ces hauts-fourneaux sont la propriété de la famille de BletiMi; denc tes éiaUlBSBenieéts méialltirgiques ^taémteës dans tMtes ces vrilées t eadiées an fond de toutes ees gorges , répasdent non seule* ment de ranlmatioii Aine ces lieux saurages » niais enoove , ce fiÉ rMè mieux « de rilsance dans ces noMagncn. Cette faorille jouit dans le pays de l'eschne la plus justement méritée. Autrefois, seigneurs de la barooie de Niedertyronn » ils perdirent ce titre pendant la rérolatioiip qui passa sur eux oomne une tempête , et sem restés an des noms les plus purs et les plus honorables de l'Alsace.

Tous smttea-TOus en eut de faire une excursion d'une ham^ enfri- ron? Prenee par les ombrages du Rùiâe Rcme^ délicieuse promenade qui i^éttnd derrière la Forge ; pénétrez dm» la forél , et vous aères MenlAt au sommet du WoMenèimrg^ qui ^ du haut desesroehés escai^ pées. domine toute la contrée. De ce point élevé, en suimni la «rèse de la montagne ters Oberbronn , on déoourre un hnmense borisaB , oi toute la basse Alsace déroule ses plaines fdantureuses , au milieu desquelles plane , comme un fisntôme nuageux , la lèche de la cathé- drale de Strasbourg. Le Wasenbourg est une vaste ruoie ^ dont plu- sieure parties sont très-bien conservées , entre autres , la taur prin- dpaie , dont les fortes murailles , hautes de plus de trente mètres , assises sur le roc, sont tin des ouvrages du moyen-âge les mieux conservés et les plus étonnants par leur caractère de puissance, d'au- dace et de durée. Je fais grâce au lecteur de l'inscription romaine qui s't trouve et qui a donné un nouvel adjectif latin à nos voeabu- kires ; mais Ce que je signalerai , c'est l'incurie qui laisse, d'année en année , enfouir ces beaux vestiges de la force du moyens-âge sous un réseau hiextricable de végétaux. Si l'excellent Cunier (t) revenait au- jourd'hui , c'est à peine s'il reconnaîtrait ce Wasenbourg , dent il fit une description si pinoresque. Cette vue étendue et variée , dont on jouissait à travers les gothiques fenêtres si délicatement découpées danseette belle pierre rougeâtre particulière à l'Alsaee du Noid , est - . . ^ -^

(') CmuES , JVMdfrftronn 4an» la ïïoBêê-AUau. Siraabouig , ieS7.

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80 REYUE D'ALSAIS.

aujourd'hui perdue; des aAres de haute futaie , dee brouasailles iuex- tricablea ont crû tout à Tentottr » comme la forêt qui reofermalt le château de la BeUe au Mi dormant » et élouflbiit sous leur végétatiou exubérante ces ruines magnifiques. Il serait focile de les dégager» et nous pensons qu'il suflSra de signaler cet inconvénient aux proprié- taires actuels.

Une des excursions les plus agréables , c'est celle du Jœganhal » i environ une lieue de Niederbroiln. On appelle ainsi une vallée très- pittoresque » qui s'ouvre à peu de distance du boui^ de ReichshoAeD» qu'on est obligé de traverser quand on fait cette excursion en voilure. Bientôt le bruit des marteaux , la fumée des hauts-fourneaux , la vue d'une foule de cyclopes aux visages noircis , avertissent qu'on est au Jœgerihai. Ici la vallée est ravissante et vraiment originale par le contraste de cette activité essentiellement moderne, et du calme qui repose depuis tant de siècles sur les ruines féodales des cMteaox de Winitân » dont les vieux murs, brunis par les siècles, couronnent les hauteurs et ferment la vallée. Les forges do tegerihal appartiennent aussi à la Tamille de Dietrich , dont quelques membres habitent une maison de campagne tout-à-fait seigneuriale située à une petite dis- tance de l'usine , et qui domine l'étang qui s'allonge presqu'à ses pieds au fond de la vallée. Du Vieux- Winuein il ne reste plus guère que les rochers qui lui ont servi de base , et sont encore suspendues quel- ques constructions d'un difficile accès. Ifais dans le sein de ces rochers la dure main de ces hommes d'un autre âge a creusé des souterrains, des salles basses , des caveaux , des galeries , de sombres cachots, qui servent anjourd'hui de caves à un pacifique forestier, dont la maison est adossée la montagne. La Nouveau-- W'nuiem , d'origine plus récente , ancienne propriété de la famille de Durckheim , ne fut démoli qu'en i676. Aussi ces ruines présentent-elles un aspect des plus intéressants. Une grande partie de la façade , qui regarde la vallée , est restée debout ; une des fenêtres surtout est encore dans un état de conservation parfaite , avec son embrasure creusée dans l'épaisseur de la muraille , sa croix ogivale et ses deux bancs de côté également pratiqués dans la pierre du mur. C'est que les dames châtelaines , qui généralement sortaient peu , et partant s'ennuyaient beaucoup, passaient les longues heures du jour, assises en travaillant à la broderie des écussons ou de quelqu'étendard, ayant sous les yeux ce splendide paysage, encadré , comme un magique panorama , dans

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SOUVENIRS DB NIEDBRBRONN. 81

le» Ogives do la petite fenêtre gothique. C'est d'abord la forger qylse mire dans l'étang » puis la vallée qui se déroule à rborizon » puis les difiérents plans de montagnes qui s'étagent, et enfin, par dessus tout cela ^ dans un loinuin fuyant , la plaine immense de la Basse- Alsaee » la cathédrale se dresse à l'boricon , à demi fondue dans les brumes du Rhin. » .

Admirable spectacle que ces ruines, qui font rêver ces rudes temps de la féodalité , le seigneur dans son donjon » le paysan dans sa cabane » représentaient » l'un , la force toute puissante, l'autre , l'ab- jection et le néant , comme dans l'antiquité piôenne , le maître et l'esclave !

Un de ces vieux châteaux sans quelque légende ou gracieuse ou ter* rible , ce serait un corps sans âme. Voici celle que rappellent ces ruines» telle que la raconte, d'après Scbweighssuser, M. Aug. Stœber, dont les travaux sur les traditions de l'Alsace » sont connus de tons ceux qui s'intéressent à ces manifestations naïves de la poésie populaire. (*)

c En 1517 , les trois châteaux du Vieux et du Nouveau^Winêtem, et de Scbœneck , appartenant aux comtes de Deux-Ponts-Bitche, furent donnés à titre de fief perpétuel , à la noble famille de Durckheim. Vers le milieu du seizième siècle, CummEckbrechtdeDurckhem fut impli- qué dans une guerre tous ses châteaux furent attaqués â la fois. Lui-même se renferma dans celui de SchœneeL Un soir» se prome- nant sur la plate*forme la plus élevée , il vit entrer dans le château deux chevaUert couverts d'armures antiques. Croyant que la porte leur avait été ouverte par trahison , il veut se précipiter au-devant d'eux ; mais au même instant ils se trouvent devant lui , et l'un d'eux lui- dit: Mon fils , volez au secours de VS^instein ; demain il ne sera plus temps t... Cunon reste interdit , et tandis qu'il se demande ce qu'il doit penser de cela» les deux chevaliers disparaissent. Revenu à lui-même» le comte reconnaît dans cette vision un avertissement surnaturel : il se met aussitôt à U tête de ses hommes d'armes , accourt devant Win* stein , et repousse un assaut qu'on allait livrer. Aujourd'hui encore» les habitants attardés , qui traversent la vallée entre onze heures et minuit » aperçoivent parfois ces vieux guerriers , marchant d'un air pensif et d'un pas lent et mesuré. On dit qu'ils gardent des trésors renfermés dans les souterrains. »

(*)Bmnied'AUaeê,Mti,idi»*

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8S REVDE D'ALSiCE.

Un des rêves favoris de M. de Dietricfa , c'est de restaurer Winstein, de le rendre habitable , et de s'y retirer. Si jamais ce projet se réali- sait , ce château deviendrait le vrai bijou féodal de l'Alsace. N'est-ce pas un spectacle curieux et bien caractéristique , que de voir la grande industrie » cette souveraine noblesse de nos jours , relever les murailles féodales, comme cela s'est vu déjà dans d'autres conditions, et întro» duire tout le confort de la vie moderne dans les repaires de la noblesse chevaleresque et un peu brutale du moyen*àge ?

Je ne parlerai ni des excursions plus ou moins rapprochées , telles que le Rieiacker , ferme isolée au milieu d'immenses et magnifiques forêts, le château de Reichshoffen , demeure princière construite dans le goût du dix*huitième siècle, par le grand-père de M. de Dietrich , le gros bourg d^Oberbrùtm , situé dans un des sites les plus ravissants. Je ne parlerai pas non plus de quelques excursions assez éloignées , telles que la verrerie de 5ainf-Iofttf et la forteresse de Bitehe , qui déjà ne sont plus dans les environs immédiats de Niederbronn , et qui exigent plus d'une journée. Je terminerai par une excursion qui me parait la plus curieuse que l'on puisse faire dans ce curieux pays : je veux parler de Lichtenberg.

Le Fart de Lichtenberg est à environ douze kilomètres de Nieder- bronn. La route est assez difficile ; elle ressemble fort à l'écriture de M"** de Sévigné , c'est-à-dire, qu'elle se compose d'une série de mon- tagnes et de vallées des plus pittoresques. Dans plusieurs descentes , on est obligé de quitter la voiture , pour ne pas être exposé à quelque chute périlleuse. A Zinswiller , gros village que l'on traverse , l'oreille est avertie de la présence de la famille de Dietrich : le bruit du marti- net et de la forge , la fumée du haut-fourneau témoignent de l'indus- trie établie dans ce pays. A Rothbacb , on quitte la route pour s'en- foncer dans la montagne , sous la conduite d'un guide. Le chemin d'aboM montant, sablonneux, malaisé, va en s'aplanissant à travers de magnifiques forêts pleines de fraîcheur et de poésie , par les plus belles allées ombreuses , semblables à celles d'un parc. Puis tout-&- coup, en débouchant de la forêt, on aperçoit devant soi, comme par un coup de théâtre , l'espace , le soleil , et , se découpant sur le bleu du ciel , un rocher en cône surmonté d'une forteresse miniature , construite avec ce beau grès rouge , qui se brunit à l'air et prend de si belles teintes. C'est Lichtenstein , le Luci$-vum9 des Romains. Une seule porte voûtée donne accès dans la place , gardée en ce moment

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SOUVENIRS DE raEDERBRORM. 85

par quatre soldats » dont un caporal, qui occupaient le poste d'entrée. Le reste de la garnison «composée de trente hommes commandés par un lieutenant , était allé à la promenade rejoindre à mi-chemin» dans la forêt t la compagnie dont elle fait partie , et qui est cantonnée à la Petite-Pierre. Bientôt te son lointain du tambour annonce le retour de la garnison » et , du haut des remparts , on voit , à travers la ver- dure , étinceler les baïonnettes de nos soldats.

L'officier commandant fait avec une grande courtoisie les honneurs de Lichtenberg. Tout est visité en détail » et en vaut la peine, les bastions , les remparts, le donjon, la chapelle et les casemates, qui, dans les dernières guerres , ont servi de prison à des Espagnols. Ils ont trouver ce grès un peu froid ; mais ils avaient un dédommage- ment dans la vue , qui , par de larges meurtrières , plongeait sur les montagnes et les vallées.

Toute cette forteresse est un vrai bijou d'ordre , de bonne tenue et de mine gracieuse, et son aspect est d'un effet assez étrange au sein de ces montagnes : elle ressemble à un îlot de rocher nageant au mi- lien d'une mer de verdure. Du haut des remparts on aperçoit à ses pieds le village de Lichtenberg avec ses hameaux voisins auxquels un commandant du fort , du temps de Louis xiv , a donné les noms de Champagne et de PtcaréUe. Un peu plus loin , on découvre un ramas de misérables masures servant de refuge en hiver à ces familles vaga« bondes de Bohémiens , qu'on rencontre dans toutes les parties de l'Alsace , ayant pour tout véhicule une mauvaise cariole attelée d'une ombre de cheval. Les hommes ont des figures de bandits , les femmes sont épouvantables, les enfants déguenillés ; le tout fait je ne sais quels ignobles métiers. Il n'y a pas de voyageur en Alsace qui n'ait ren- contré quelque part de ces petites Bohèmes , soit au coin d'un bois, soit dans le fond d'un ravin , soit dans quelque cimetière abandonné. Le cheval dételé erre sur le bord des fossés ; la famille s'est établie autour d'une cuisine improvisée , qui se compose d'une marmite fu- mante posée sur trois pierres ; les femmes accroupies au rebord du fossé peignent leurs longs cheveux noirs qui tombent sur leur figure bistrée , et les enfants courent après les passants en demandant la charité.

Le fort de Lichtenberg remonte à une antiquité fort respectable ; il date du treizième siècle. La France en fit la conquête sous Louis xiv ; c'est le maréchal de Créqui qui s'en empara , après un siège de dix

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M REYUE D'àLSACB.

jours I en 1618 , peu après ia bataille da Kocherberg remperiée sur les impériaux pendant la guerre de Flandre. Démanialé par les Frao^ çais 9 il fut bientôt relevé et entretenu avec soin ; depuis lors il (ut gardé par des invalides et depuis plusieurs années, par des déta» cbements d'infanterie du cantonnement de la Petile-Pierre. AjouioAS qu'officier et soldais » qui y sont d'ordinaire relégués pour six mois , ont largement le temps de s'ennuyer de tout leur cœur au milieu de ces magnifiques solitudes.

Ces solitudes sont , en effet » imposantes ; rien ne peut donner une idée de la grave et sereine beauté de ce paysage. Montez sur le don- jon, d'où l'on embrasse toute la contrée, vous vous trouverez sur une plate-forme, qui n'a pas trois mètres carrés, et qui couronne ce donjon élevé lui-même sur ce roc isolé à une bauteur considérable. Le ciel arrondit sa coupole d'azur au-dessus de votre léte , et la vue s'étend tout autour de vous sur le plus magnifique panorama. Ce ne sont que montagnes sur montagnes , forêts verdoyantes , vallées et gorgés pro- fondes , et puis , vers l'Orient , l'borizon qui s'ouvre sur la vaste plaine de l'Alsace, avec sa merveilleuse cathédrale , qu'on aperçoit de tous les points élevés , comme une sentinelle vigilante , placée au centre du pays pour appeler vers le ciel les regards des hommes ; puis c'est le Bhin qui traverse le fond du tableau comme un mince filet d'argent» et enfin, perdue dans la brume de l'horizon , la cbaioe pittoresque de la Forêt-Noire.

Ce château a été témoin d'un événement atroce. Ecoutez cette histoire :

Vers le milieu du quatorzième siècle , vivaient deux frères , deux seigneurs de Lichtenberg , auxquels une ancienne tradition donne les noms de Jean et de Sigismond. Une haine mutuelle et féroce remplis- sait le cœur des deux frères ; ils avaient juré de faire périr dans les plus affreux tourments celui des deux qui tomberait dans les mains de l'autre. L'un avait juré , s'il parvenait à s'emparer de son frère , de le faire mourir de faim ; l'autre , par une cruelle réciprocité, avait juré, s'il avait l'avantage sur son frère, de le faire périr de soif. La fortune favorisa le second. Il fit jeter son malheureux Aère dans un cachot, creusé dans le roc , aux pieds du donjon , et tous les jours on lui don- nait , pour toute nourriture , un morceau de pain sec , mais pas une goutte d'eau pour apaiser sa soif.

Et cependant l'infortuné ne périssait pas.

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Epié par le chapelain du château , celui-ci s'apepçut que le priaon- humectait son psin avec l'eau qui suintait à travers le rocher» et parvenait ainsi à diminuer les tourments de la soif. Aussitôt on lui enleva cette misérable ressource , en le transférant dans une chambre élevée du donjon , exposée aux rayons du soleil > la oMilheureuse victioie ne tarda pas à expirer au milieu des angoisses du désespoir.

Cependant le fratricide sentit bientôt les atteintes du remords : sans cesse il voyait devant ses yeux l'image de ce pauvre frère souffrant les cruelles douleurs de l'agonie , et expirant du plus cruel supplice. Il ne put supporter longtemps celte torture mille fois plus affreuse que la mort. Un jour il engagea le traître chapelain , ce lâche com- plice , qui l'avait trop bien servi dans sa vengeauce , à venir se pro- mener sur les remparts du château ; tout-à-coup , se jetant sur le mi- sérable prêtre . il l'étreint de toutes ses forces » et se précipite avec lui au fond de l'ablnie , tous deux sont brisés contre les rochers.

Sous les nervures de la voûte ce drame terrible a été consommé» se trouvent trois têtes taillées dans la pierre : quelqu*artiste inconnu a voulu éterniser la mémoire de ce fait. Une de ces têtes représente les traits du prisonnier dans un état de maigreur déjà bien lamentable; la seconde représente sa figure décharnée comme celle d'un squelette; la troisième, enfin , le représente dahs les dernières convulsions de la mort , les yeux fermés et la langue pendante hors de la bouche au milieu de flots de sang.

Que les âmes sensibles se rassurent. Ce tragique événement , qui , s'il n'est pas vrai , n'est cependant que trop vraisemblable , en ces temps de barbarie , ne repose pas sur des documents authentiques » mais uniquement sur la tradition populaire. Voici , d'après un auteur moderne , (^) quels faits réellement historiques ont donné naissance à ce récit.

Les frères Jacques et Louis de Lichtenberg avaient eu «ntre eux de longs démêlés , vers le milieu du seizième siècle , au sujet d'une femme connue sous le nom de la belle ou plutôt de lu méchante Bàrbel^ jeune paysanne de la plus grande beauté , que Jacques avait prise dans son château de Lichtenberg après la mort de la comtesse sou épouse» et qui se fit bientôt détester à cause de son avarice et de ses cruautés. Cette malheureuse , qui se livrait à la magie » finit par être brûlée

[*) Légendes aUaeiennei , par ÂUG. Stoeber. S. Gall , 1852.

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comme sorcière , après avoir été cause d'inimitiés et de violences fâcheuses entre les deux frères rivaux. Avant cette désunion» les deux frères avaient eu à soutenir une guerre contre les seigneurs d'Ocftien- iiein et de Leiningen. Ils avaient fait ce dernier prisonnier, et l'avaient retenu » pendant sept ans, au fond d'un sombre cachot du château de Licbtenstein , et pendant les trois premières années « ils avaient poussé la cruauté jusqu'à lui mettre les fers aux pieds«

Ces deux événements se seront probablement confondus plus tard dans rimagination populaire , qui les grossit et les revêtit des sombres couleurs qui caractérisent l'événement tel que la tradition le raconte encore aujourd'hui dans toutes les chaumières des environs de Licb- tenstein.

ADOLPHE DOPUT , Pafltaor à Mulhouse.

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REMARQUES

SUR LA DÉNOMINATION CELTIOUE

DE